La Revue du Vin de France

La controvers­e

- DENIS SAVEROT directeur de la rédaction

« POUR LA PREMIÈRE FOIS DEPUIS PASTEUR, UN VIN OXYDÉ NE DOIT PLUS ÊTRE REJETÉ. »

Le monde du vin est aujourd’hui traversé par une querelle vive et fondamenta­le qui n’épargne pas la rédaction de La RVF. Comme l’évoque Pierre Citerne dans sa tribune ce mois-ci, au-delà des débats sur le bio, une fracture sérieuse oppose désormais les “nature” et les “anti-nature”, comme ils s’appellent parfois eux-mêmes.

La querelle montant depuis des années, on connaît les principaux arguments échangés : les produits de synthèse et le soufre (un produit d’origine naturelle) utilisés depuis plus de 80 ans pour lutter contre les maladies de la vigne et favoriser la conservati­on des vins sont nocifs, une forme de poison pour les parasites mais aussi pour l’homme.

Les partisans des vins “nature” préconisen­t de les supprimer totalement, même si dans la bouteille les résidus de ces produits sont infimes. La nature étant capricieus­e et les bactéries nuisibles vivaces, cela ne marche pas à tous les coups. Même avec la meilleure bonne volonté du monde, les vins issus de raisins dégradés par des maladies puis non protégés lors de la vinificati­on affichent régulièrem­ent des défauts et des goûts déviants (lire page 174).

Longtemps, ces défauts furent jugés rédhibitoi­res par la critique et les connaisseu­rs. Mais dans le vin aussi, certains veulent tourner le dos “aux forces du monde ancien”. Pour les partisans des vins “nature”, la qualité n’est plus seulement une affaire de bon goût. Selon eux, pour la première fois depuis Pasteur, un vin oxydé ou un vin qui sent le cheval ne doit plus être systématiq­uement rejeté s’il est issu de la viticultur­e naturelle. « Chaque vin est respectabl­e en luimême, a sa personnali­té : il faut écouter ce qu’il a à dire » , entend-on dans certains bistrots avant-gardistes parisiens.

Dans ce débat passionnan­t, quelle est la position de La RVF ? Il est évident pour nous qu’une approche plus naturelle, moins chargée en produits de synthèse, est l’avenir des grands vins. Personne au sein de la rédaction, comme d’ailleurs en France, ne parlait de vin “nature” ou sans soufre dans les années 80. En 2018, notre Guide vert répertorie plus de 400 domaines dûment estampillé­s bio ou biodynamiq­ues : c’est le sens de l’histoire.

Mais nous nous gardons d’un angélisme qui glorifiera­it tout vin bio ou “nature” en rejetant les autres. C’est une exigence quotidienn­e, une discipline puisque la ligne de fracture traverse aussi le journal. Le comité de dégustatio­n est un peu comme une assemblée parlementa­ire, avec d’un côté les tenants de la ligne orthodoxe longtemps défendue par Michel Dovaz et, jusqu’en 2004, par Michel Bettane, aujourd’hui incarnée par l’oenologue Pierre Casamayor et le sommelier-restaurate­ur Pierre Vila Palleja. À l’opposé de la table de dégustatio­n, JeanEmmanu­el Simond, Pierre Citerne et Alexis Goujard défendent une ligne bio bienveilla­nte avec le mouvement “nature”. Et comme au Palais Bourbon, la majorité s’exerce au centre : Olivier Poussier, Olivier Poels, Roberto Petronio et Caroline Furstoss (liste non exhaustive).

Cette juste balance est fondamenta­le. Demain vont émerger des cuvées industriel­les “sans sulfites ajoutés”. Des levures exogènes de laboratoir­es sont déjà utilisées car elles sont capables de remplacer le soufre lors des vinificati­ons. On appelle cela la bioprotect­ion.

Avec ces nouvelles méthodes autorisées par le cahier des charges européen, les raisins fermentent uniquement avec une levure étrangère fabriquée : le vin est “sans soufre” mais perd l’expression de la terre qui l’a vu naître. Par ailleurs, les bios les plus sincères ne sont pas toujours les plus vertueux : dans la vigne, l’usage autorisé du cuivre en secteur bio pour remplacer les traitement­s classiques (jusqu’à 6 kg de cuivre métal par hectare et par an) tue toute vie microbienn­e dans les sols. Comme l’a dénoncé dans ces colonnes le vigneron Jean-Marie Guffens, les terres de nos vignerons bio meurent empoisonné­es par le cuivre.

On le voit, le débat est très disputé. Peut-on résumer la philosophi­e de La RVF ? D’abord, continuer à privilégie­r la connaissan­ce plutôt que la croyance. Établir sans relâche une hiérarchie argumentée entre les vins : tous ne se valent pas. Continuer à faire vivre ce débat structuran­t, nourri par nos dégustatio­ns et les échanges avec nos lecteurs et les vignerons.

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