La nouvelle ère
En distinguant, au moins symboliquement, le vin des autres alcools et en écartant tout durcissement de la loi Évin, le président de la République met un terme à une schizophrénie bien française. Quinze ans durant, on a vu les autorités sanitaires soutenues par l’industrie pharmaceutique déprécier le génie viticole de notre pays. L’engagement d’Emmanuel Macron marque un retour à la raison, mais cette histoire témoigne aussi de certaines lâchetés.
Jacques Chirac se doute-t-il, en 2002, de l’exploitation qui sera faite de ses trois priorités : sécurité routière, lutte contre le cancer et handicap ? Au nom des deux premières, les autorités sanitaires et leur bras armé la Mildt, l’Anpaa, l’OFDT et bientôt l’INCa se déchaînent contre l’alcool et le vin en particulier : campagnes de sécurité routière assimilant le vin à la mort (le fameux sablier laissant tomber des gouttes de sang), pictogramme femme enceinte rendu obligatoire, publications de chiffres aussi terrifiants qu’invérifiables (50 000 morts par an attribués à l’alcool) ou de statistiques farfelues sur l’alcoolisme national obtenues en confondant le vin bu par les Français et les bouteilles achetées ou dégustées sur notre sol par 80 millions de touristes étrangers chaque année. Bousculé à la télé par des ligues contre la violence routière, Hervé Gaymard, ministre de l’Agriculture, se fait tout petit tandis que le président passe de la Corona au Coca…
Très divisée, la filière viticole ne se mobilise pas tout de suite. Il faut attendre la fin des années 2000 pour que, lassés par ce climat de chasse au vin, trois barons du vignoble, Jean-Michel Cazes et Patrick Maroteaux à Bordeaux, Pierre-Henry Gagey à Beaune décident de relancer et de structurer un lobbying viticole plus efficace au Parlement : Vin et Société.
La petite musique prohibitionniste continue néanmoins sous Nicolas Sarkozy, premier président fier de clamer qu’il ne boit pas de vin. Il vend la moitié de la cave de l’Élysée. On entend en 2012 le professeur Maraninchi, prédécesseur d’Agnès Buzyn à la présidence de l’INCa, assurer sans être contredit : « Le vin est
cancérigène dès le premier verre » . Inouï en France, pays qui vend son vin dans le monde entier ! Convaincus de la légitimité de leur croisade, les docteurs Knock de l’Anpaa font condamner Le Parisien, Les Échos et même Paris Match pour des articles vantant les bienfaits du vin.
Seulement voilà : tandis que le trou de la Sécu se creuse, que la dette publique gonfle, le vin, lui, rapporte au pays. À partir de 2014, une poignée d’élus réalistes changent de discours. C’est d’abord Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, qui met en oeuvre une nouvelle diplomatie économique, laquelle fait enfin la part belle à la gastronomie et au vin. C’est aussi Alain Juppé, maire de Bordeaux, qui lance La Cité du Vin dans sa ville puis l’événement “Bordeaux fête le vin”. Tous deux seront nommés Hommes de l’année par La RVF. Les attentats en France achèvent de renverser les priorités : les limiers du CSA qui traquaient tout éloge du vin sur les écrans de télé au nom de loi Évin sont désormais priés de se concentrer sur l’apologie du djihad et l’antisémitisme, voire les propos sexistes. Le vin retrouve, de façon subliminale, sa position de symbole d’identité et de liberté.
En célébrant publiquement le vin, Emmanuel Macron confirme cette évolution. Début février, sur France 2, la ministre de la Santé Agnès Buzyn avait pourtant une nouvelle fois accusé « l’industrie du vin de distinguer le vin des autres alcools » . Voilà la ministre recadrée. Le nouveau président semble avoir compris qu’il ne peut incarner la France sans ses symboles les plus profonds : ses ingénieurs et ses industriels, bien sûr, mais aussi sa langue, le Louvre, son vin.
« EMMANUEL MACRON SEMBLE AVOIR COMPRIS QU’IL NE PEUT INCARNER LA FRANCE SANS L’UN DE SES SYMBOLES LES PLUS PROFONDS : LE VIN. »