Un prophète à l’université
En se présentant dans l’enceinte de l’université de Strasbourg, il avait volontairement laissé sur ses souliers un peu de la terre de sa vigne fétiche, où il s’était rendu le matin même pour recevoir l’énergie du sol aimé. La Goldasch, autrement dit Cendre d’or : c’est là, à 200 mètres de sa maison, qu’il a jadis révisé son bac, décidé de divorcer, imaginé sa cave, soupesé tous les choix décisifs de sa vie.
Puis, prenant la parole face à l’assemblée, il plaça d’office la journée sous l’autorité de Bernard de Fontaine, ni plus ni moins que l’abbé de Clairvaux. Chacun, alors, comprit qu’il se passait quelque chose d’exceptionnel. Et il est vrai que Jean-Michel Deiss a donné un relief singulier au lancement du premier diplôme universitaire (DU) dédié au vin en Alsace. Un lancement qui couronne l’engagement de sa vie.
On peut déplacer des montagnes avec des convictions, une vision et du travail. Aux yeux des connaisseurs, le plus célèbre des vignerons alsaciens s’est distingué très tôt, en proposant une approche différente du vin, contre « la dictature des cépages » . Pour y parvenir, l’enfant terrible de Bergheim s’est beaucoup battu, contre l’administration tatillonne, face à ses pairs aussi. À ses yeux, l’Altenberg, le Mambourg, le Schoenenbourg vaudront toujours mieux qu’une simple mention riesling ou gewurztraminer sur l’étiquette. Et aujourd’hui, son idée de complanter des cépages différents au sein d’une même parcelle, à très haute densité pour mieux restituer le terroir, inspire plusieurs vignerons idéalistes.
Mais Jean-Michel Deiss n’en a jamais fini avec ses missions. Il veut aujourd’hui éduquer le consommateur, apprendre à parler du vin autrement. « N’ayez pas peur, lance le messager à la barbe d’argent, chacun est capable de décrire le vin en 50 mots ! »
Comment ? Grâce à la dégustation géo-sensorielle, la nouvelle affaire de sa vie. Pédagogue, Deiss invite chacun à s’exercer à l’aide d’un verre noir. On ne distingue plus alors ni la couleur ni la robe du vin : il faut se concentrer sur la “forme” du vin en bouche, rugueux, lisse, lumineux, dégageant de l’énergie ou pas, salivant ou non : autant de traits qui, assure le vigneron, correspondent aux signatures des grands terroirs. Les sols cristallins tels le quartz, le granit, les grès ou les graves donnent des vins à la fois lumineux et froids, mais verticaux. Les sols volcaniques produisent des vins chauds, qui n’explosent pas, mais coulent comme de la lave en bouche. Les terrains sédimentaires donnent des vins horizontaux, les terroirs calcaires des vins plus fins, les argiles des vins plus épais…
Après des années d’engagement, Jean-Michel Deiss a réussi à nouer un partenariat avec la prestigieuse université de Strasbourg, auréolée de quatre prix Nobel, pour créer ce premier DU. Son intitulé est à lui seul un programme : “Vers le terroir viticole par la dégustation géo-sensorielle”.
Comment ne pas soutenir une telle initiative qui bouscule les habitudes et rend le vin plus vivant, intéressant et surprenant ? « L’université doit casser les codes. Les intuitions de Jean-Michel Deiss sont justes, avec les excès du prophète. Son association avec le professeur Dominique Schwartz et la faculté de géographie sera féconde » , pronostique l’épatant Michel Deneken, président de l’université de Strasbourg. Ce 28 avril, Aubert de Villaine, Philippe Guigal, Pierre Lurton, Henry Marionnet avaient fait le voyage pour voir leur ami Deiss lancer “son” diplôme, épaulé par les intellectuels du vin Jean-Robert Pitte, Jacky Rigaux, le jeune et brillant chercheur à l’Institut Pasteur Gabriel Lepousez, spécialiste de la perception sensorielle, le conseiller Stéphane Derenoncourt et l’admirable Dominique Loiseau, heureuse de parrainer ce diplôme dans l’Alsace travailleuse de sa jeunesse.
Plusieurs de ces personnalités fameuses interviendront lors les cours dispensés dans le cadre du DU. Les enseignements commencent le 11 juin, au rythme d’une semaine par mois. Tarif : 4 950 euros, avec une aide financière possible. Vous êtes intéressés ? Alors, offrez-vous une part d’idéal et le frisson de la découverte sensorielle en contactant Chantal Campo : campo@unistra.fr