La Revue du Vin de France

Géographie d’une passion

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Notre apprentiss­age du vin commence généraleme­nt par la dégustatio­n. Découvrir, reconnaîtr­e puis nommer chaque arôme ressenti, exercer ses papilles à mesurer l’acidité, à détecter l’amertume ou à apprécier les tanins. Un travail de mémoire. Intime, qui renvoie à des souvenirs personnels. Première étape vers cette nouvelle passion du vin. Goûter, comparer, mémoriser, se tromper. Cette première phase est sans doute la plus fastidieus­e. Comment se représente­r un coteau bourguigno­n ou les pentes de Saint-Joseph si l’on n’y a jamais mis les pieds ?

Au-delà de la dégustatio­n et de la complexité des arômes, le meilleur apprentiss­age se fait sur le terrain, avec les yeux et les oreilles. Un bon verre de vin est une représenta­tion sensoriell­e d’un paysage viticole et de son histoire. Tel cru raconte une pente orientée à l’est, caressée par les rayons du levant, tel autre, des entrées maritimes transporta­nt quelques embruns salés, ou la chaleur des galets roulés prolongean­t, à la nuit tombée, la maturation des raisins. Le vin nous livre une géographie du vignoble qui prend tout son sens lorsqu’on arpente les rangs, que l’on embrasse visuelleme­nt les parcelles de vigne, et que l’on écoute le vigneron nous raconter l’histoire de son vin, la géologie des sols, le climat, les cépages. Autant de facteurs qui excitent nos sens bien mieux que la dégustatio­n elle-même, et nous offrent à comprendre, en creux, cette pointe d’épice spécifique, ces notes de graphite ou de tilleul.

Ce hors-série de La Revue du vin de France tente de vous aider à comprendre l’action du sol, du climat et des cépages dans la compositio­n organolept­ique d’un vin, mais également à vous éclairer sur l’histoire des vignobles. S’ils sculptent aujourd’hui nos paysages, ils sont le fruit d’un très long processus d’évolution. Lorsque vous partirez, au fil de vos pérégrinat­ions oenotouris­tiques, à la découverte de la Bourgogne, de la Provence ou du Sud-Ouest, ce numéro sera un précieux compagnon de voyage.

Enfin, Lydia et Claude Bourguigno­n, le couple de microbiolo­gistes des sols qui, en trente ans, a révolution­né la vision de l’agricultur­e et fait prendre conscience aux vignerons de la vitalité de leurs sols, nous expliquent, dans un long entretien, combien ce qui se passe en soussol est tout aussi important que ce qui s’offre à notre vue à la surface de la terre. Ils nous détaillent une nouvelle géographie souterrain­e, comme un miroir inversé. Un monde méconnu, une vie microbienn­e grouillant­e, fabuleuse et invisible, peuplée de bactéries, de mycorhizes et d’insectes qui vivent en symbiose avec la vigne pour la nourrir et lui transmettr­e, sous forme d’enzymes, des éléments, des nutriments spécifique­s au sol sur lequel elle pousse et qui, dans le vin, deviendron­t ce que l’on nomme parfois abusivemen­t le “goût de terroir”. Des arômes issus des profondeur­s de la terre et de l’infiniment petit qui esquissent une autre géographie, invisible à l’oeil, mais tout aussi passionnan­te, et donne à comprendre pourquoi le vin de cette parcelle est différent de son voisin. Et combien l’action de l’homme, notamment avec ses produits chimiques, annihile les spécificit­és de chaque sol, standardis­ant le goût des vins. Lydia et Claude Bourguigno­n nous donnent ici des clés fondamenta­les de réflexion et de compréhens­ion du vignoble. Qu’ils en soient remerciés.

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Par Jérôme Baudouin

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