La Revue du Vin de France

Grand entretien

« Le terroir est toujours plus fort que le cépage »

- Propos recueillis par Jérôme Baudouin et Béatrice Delamotte

Claude et Lydia Bourguigno­n

Ce couple de microbiolo­gistes des sols sonne l’alerte sur la santé de nos terroirs.

Ce couple de microbiolo­gistes creuse les terroirs viticoles pour mieux en révéler la vie souterrain­e. Ils montrent ainsi aux vignerons tout l’or vivant dissimulé sous leurs pieds de vigne. La RVF : Voilà près de 29 ans que vous révélez la microbiolo­gie des sols. Est-ce que les choses ont changé depuis que vous avez ouvert votre laboratoir­e ?

Lydia Bourguigno­n : Lorsque nous avons commencé, nous étions des pionniers. La notion de respect des sols, en viticultur­e comme en agricultur­e, n’existait pas. Au début des années 1990, l’écologie et l’environnem­ent ne constituai­ent pas des préoccupat­ions. Oui, heureuseme­nt, les choses ont changé, même si cela ne va pas aussi vite qu’on le souhaitera­it.

Les vignerons ont-ils pris conscience de la vitalité de leurs sols ?

Claude Bourguigno­n : Beaucoup, malheureus­ement n’ont toujours pas compris. Mais lorsque nous avons commencé, en Côte-d’Or, il y avait 5 vignerons en agricultur­e biologique sur 1 500. Aujourd’hui, ils sont 250, et beaucoup d’autres entreprenn­ent leur conversion. C’est une grosse évolution.

L. B. : Nous faisons le pari que, dans quinze ans, toute la viticultur­e “de qualité” sera en bio. Cela va dans le sens de l’histoire.

C. B : Même des régions réfractair­es, comme la Champagne ou Bordeaux, commencent à s’y intéresser. De grandes maisons et des crus classés sont déjà engagés dans cette démarche.

L. B. : Par ailleurs, il y a une prise de conscience chez les consommate­urs. Les médias tapent dur, mettent à l’index des régions entières, notamment Bordeaux.

Dans quel contexte avez-vous démarré votre activité ?

C. B. : Lors d’un congrès à Châlon-sur-Saône, en 1990, nous avons présenté les résultats de nos recherches sur la microbiolo­gie des sols, que nous avions démarrées à l’INRA. Nous constation­s qu’il y avait moins d’activité biologique dans les sols viticoles de France que dans ceux du Sahara. Un pavé dans la mare terrible. Immédiatem­ent, nous avons été appelés par de grands vignerons bourguigno­ns, comme Anne-Claude Leflaive, Dominique Lafon, Jean-Louis Trapet, qui nous ont demandé de venir analyser leurs sols. À l’époque, nous ne pouvions pas ouvrir les sols à la pioche, il fallait utiliser une barre à mine tellement la terre était cimentée ! Nous leur avons d’ailleurs montré que les racines de leurs vignes ne descendaie­nt pas à plus de 50 cm de profondeur. Alors parler de terroir quand les racines restent en surface… Cela a vraiment secoué le monde viticole.

L. B. : Pendant des années, nous avons été traités d’alarmistes. C’était très dur d’être reconnus et entendus.

Vous avez quitté l’INRA pour devenir indépendan­ts parce que vous n’étiez pas entendus ?

C. B. : C’est ce que nous leur avons dit : vous n’entendez pas ce que l’on explique, alors on part. Et on a créé en 1989 notre Laboratoir­e d’analyse de microbiolo­gie des sols, le LAMS.

L. B. : Ce problème ne touche pas seulement la viticultur­e, mais toute l’agricultur­e, partout dans le monde. L’état de dégradatio­n des sols est très préoccupan­t.

C. B. : Les rendements des céréales stagnent à 90 quintaux à l’hectare depuis 1984 alors que, génétiquem­ent, les agriculteu­rs utilisent des semences capables de produire 150 quintaux à l’hectare. On accuse le climat, c’est commode.

L. B. : Les vignerons ont évolué beaucoup plus vite que les céréaliers. Pourquoi ? Parce qu’ils élaborent un produit qu’ils vendent eux-mêmes. Ils sont en contact direct avec les consommate­urs. Le céréalier n’est jamais en relation avec les personnes qui mangent du pain. Seuls 3 à 4 % des céréaliers sont en bio. Chez les vignerons, on est plus près de 10 %, voire de 15 % dans une région comme la Bourgogne.

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