La Revue du Vin de France

À demain de Gaulle

- Par Sébastien Lapaque Écrivain, chroniqueu­r littéraire et solide buveur.

Avec l’écrivain Michel Bernard, ancien sous-préfet de Reims qui passe désormais le plus clair de son temps à chercher le secret de la perfection du français, et le vigneron champenois Michel Drappier, nous avons décidé de célébrer à notre manière le cinquantiè­me anniversai­re de mai 1968 en nous rendant en pèlerinage à Colombeyle­s-Deux-Églises. C’était par une demiclaire journée de printemps où le soleil a mis du temps à réchauffer la campagne. À la gare de Bar-sur-Aube, Michel Drappier m’attendait au volant de la DS21 noire que sa femme Sylvie lui a offerte pour ses 50 ans. « C’est l’ancienne voiture du préfet d’Orléans. Le président Pompidou s’est même assis à l’arrière un jour où la DS présidenti­elle était en

panne » , précisa-t-il. Les amateurs de plaisirs démodés imaginent la joie enfantine que nous a procuré le trajet sur la départemen­tale 619 dans une vieille voiture française. Subitement, nous avons été transporté­s au temps où le Général gouvernait la France. À La Boisserie, ancienne résidence personnell­e de Charles de Gaulle à Colombey-lesDeux-Églises, nous nous sommes recueillis dans la pièce où il est mort le 9 novembre 1970 en faisant une réussite. Quarantehu­it ans plus tard, rien n’a bougé, tout est en place : la table de bridge sur laquelle le Général s’est effondré en attendant le journal du soir à la télévision, les reliures rouges, jaunes, vertes et bleues des livres dans sa vaste bibliothèq­ue. Par la fenêtre du bureau dans lequel il a rédigé ses Mémoires, exposé

plein ouest, on peut apercevoir une parcelle de vigne de la maison Drappier les jours de grand beau temps. Le Général y songeait-il ? Michel Drappier rappelle avec émotion qu’il était un client de son père André. Dans les archives familiales, un bon de commande certifie qu’il se fournissai­t en cuvée Extra Dry : 24 bouteilles facturées au prix unitaire de 7,75 francs à « Mr le Général de Gaulle, La Boisserie, Colombey-les-Deux-Églises,

Haute Marne, le 3 mars 1965 » . C’était neuf mois avant que le peuple français ne l’élise Président de la République par le biais du suffrage universel. Il avait beaucoup d’ennemis et des accès de mélancolie.

Pour saluer le Général et son bon goût, Michel Drappier a imaginé en 1990 une cuvée qui ressemblai­t au vin qu’il aimait. La cuvée Charles de Gaulle est un champagne composé de 80 % de pinot noir, le raisin emblématiq­ue de la maison, et de 20 % de chardonnay. C’est un champagne rare, dont 5 ou 6 000 bouteilles seulement sont commercial­isées chaque année. Il a une belle mousse, signée Drappier, une bulle persistant­e, une bouche racée et fruitée. À Urville, nous nous sommes retrouvés avec Michel Bernard et Michel Drappier pour déguster cette cuvée marquée par les sols du Jurassique kimméridgi­en où les vignes familiales sont profondéme­nt enracinées. Il suffit de consulter un atlas de la France viticole pour se souvenir que la Côte des Bar est plus proche de l’Yonne et du vignoble de Chablis que de la Montagne de Reims.

Nous avons vidé nos verres en parlant de la France. C’est comme ça, et pas autrement, que nous avons salué à Urville la haute mémoire de Charles de Gaulle.

« À La Boisserie, où rien n’a bougé, Michel Drappier rappelle avec émotion que le Général était un client de son père. »

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