La Revue du Vin de France

Les belles bouteilles de l’été

- DENIS SAVEROT directeur de la rédaction

Il est d’usage, dans certains milieux, de critiquer les sommeliers de palace, souvent jugés trop guindés, esclaves des étiquettes, sans fantaisie. Mais une visite au Cinq, à Paris, permet de mesurer ce qu’est un service parfait, tant par l’élégance de la forme que par la connaissan­ce intime du vin. Éric Beaumard, directeur du restaurant où officie le chef Christian Le Squer, n’est pas seulement le sommelier le plus élégant de Paris. À la tête d’une équipe de dix sommeliers, Éric est aussi un interlocut­eur merveilleu­x, contant avec humour mille anecdotes mettant en scène Saint-Émilion ou Chinon, achetant tous ses vins en direct, capable de citer dix artisans vignerons d’avant-garde avec lesquels il travaille, attaché aussi à proposer en préambule de son incroyable carte (2 750 références) une cinquantai­ne de vins entre 35 et 60 euros, un sacerdoce dans un établissem­ent trois étoiles.

Comme tous les profession­nels du vin, Beaumard se trouve lui aussi concerné par le débat qui agite partisans et adversaire­s des vins dits “nature”, autrement dit sans soufre. Il a fait ses choix… « Au Cinq, le client ne vient pas pour partir à l’aventure, ce n’est pas vraiment Koh Lanta » , assume-t-il avec humour. Et il est vrai que l’on ne pousse pas forcément la porte d’un trois étoiles Michelin pour vivre « un accident, une affaire ou une mésaventur­e » , selon la définition que

Le Petit Robert donne au mot aventure. Et pourtant, de Thibaud Boudignon à Jean-Marc Sélèque, du chenin franc de pied de François Chidaine à sa fantastiqu­e collection de très vieux madères, le patron du Cinq est capable sur chaque plat, à chaque instant, de créer la surprise en servant des vins de vignerons inattendus et enthousias­mants.

Si vous aussi êtes avide de découverte­s, ce numéro d’été devrait vous combler. Commencez par la minutieuse dégustatio­n des vins de Cahors conduite par l’ami Romain Iltis. Voici un vignoble diagnostiq­ué moribond au tournant des années 2000 : l’absence d’ambition, les vins médiocres écoulés à vils prix et surtout la concurrenc­e croissante de malbecs modernes et toniques venus d’Argentine et du Chili avaient désossé l’appellatio­n. Et voilà que vingt ans plus tard, le malade se relève : l’approche totalement décomplexé­e et la lecture affinée des terroirs conduites par une nouvelle génération de vignerons bouleverse­nt la donne. Et pour la première fois depuis une génération, Cahors revendique à nouveau sa place de capitale mondiale du malbec. Pour notre plus grand plaisir.

Notre dernière visite à Châteauneu­f-du-Pape pousse également à l’optimisme. Roberto Petronio, fin connaisseu­r de cette appellatio­n mythique, distingue ce mois-ci les nuances qui séparent les cuvées Tradition (à majorité de grenache) et les cuvées “spéciales” (100 % grenache, à forte proportion de syrah ou de mourvèdre, issues de vieilles vignes, etc.) qui, toujours plus nombreuses, enrichisse­nt la palette des grands châteauneu­f-du-pape. C’est savoureux, c’est fin, réellement passionnan­t, et proposé à des prix encore abordables.

Comment aborder l’été sans évoquer le rosé ? Alexis Goujard revient de Provence avec une sélection resserrée de cuvées élégantes et gourmandes à goûter absolument dans le doux laisser-aller de juillet et août. Les vins qu’il rapporte sont présentés par couleur, vous y trouverez des rosés aux pâleurs d’eau (!) qui, paraît-il, plaisent beaucoup aux dames, mais aussi des rosés de tempéramen­t, aux carnations plus affirmées. À tous et à toutes, un excellent été assorti de belles dégustatio­ns.

« ON EST ÉMERVEILLÉ DEVANT LES ÉVOLUTIONS QUI SECOUENT CERTAINS VIGNOBLES FRANÇAIS. »

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