La plus “continentale” des appellations médocaines
Argiles, graves et fraîcheur marquent le terroir de Listrac-Médoc. La précision des pratiques vitivinicoles et… le réchauffement climatique permettent d’obtenir des vins très séduisants, blancs compris.
Ce sont des vignes qui s’étendent aux limites occidentales du vignoble médocain, là où les sables des Landes et la forêt finissent par s’imposer. L’AOP Listrac-Médoc est avec sa cousine de Moulis la plus “continentale” des appellations communales du Médoc. Elle ne “regarde” pas l’estuaire comme les autres. Ainsi, même si le climat est océanique tempéré ( 1), les minima de température sont plus bas ici que dans les autres aires communales de la presqu’île. La zone de Listrac et Moulis est l’une des plus tardives du vignoble bordelais ( 2).
Listrac se distingue aussi par ses sols. Les sols du Médoc dépendent largement
des six anciennes terrasses de la Garonne. « Les sols issus de la terrasse 4 (la terrasse 1 étant la plus ancienne) sont communs à toutes les appellations du Médoc, sauf celles de Moulis et Listrac, souligne le géologue Pierre Becheler (Becheler Conseils). À Listrac, ce sont essentiellement les dépôts de la terrasse 1 que l’on trouve et, dans une moindre mesure, ceux de la terrasse 3. »
Le vignoble repose sur un plateau argilo-calcaire et sur les croupes de graves (Fourcas, Fonréaud…) et les terrains sablo-graveleux qui le recouvrent, issus de ces fameuses terrasses de la Garonne. Les sols viticoles sont globalement plus argileux que dans les autres appellations communales médocaines. D’où une proportion de merlot plus importante
(63 %). Mais il y a des variations importantes entre les sites.
L’ouest de l’appellation est marqué par les graves issues de la terrasse 1, qui regroupe plusieurs matériaux : galets, sables, argiles, colluvions. La variation de la charge caillouteuse joue un rôle important dans le potentiel viticole des sols car elle influe sur leur réserve hydrique et leur capacité de drainage. Il s’agit de sols évolués dont les argiles de surface ont été lessivées.
C’est sur cette zone graveleuse que se trouve l’essentiel du cabernet-sauvignon. Il lui faut en effet des terres drainantes et précoces pour compenser le caractère tardif de l’aire. Le but étant que la maturité soit aboutie afin d’éviter les tanins rudes. Mais il faut aussi tenir compte du caractère argileux des sols graveleux. « Sur la périphérie des croupes de graves, l’argile est très près de la surface, il y a donc peu de contrainte hydrique. En tout cas, moins que sur les sols graveleux issus des terrasses 3 et 4. Cela peut donc conduire à des vins aux tanins plus fermes » , explique l’agronome David Pernet (Sovivins).
Les 38 parcelles du vignoble du château Mayne Lalande sont situées aux trois quarts sur des graves. Mais pour Bernard Lartigue, le propriétaire, toutes n’ont pas le potentiel de donner un cabernet-sauvignon à la hauteur de ses exigences. « J’aime beaucoup la race du cabernet-sauvignon et il domine toujours dans mes vins, mais mon terroir ne me permet pas d’en avoir autant que je le vou
drais » , indique le vigneron. Il s’agit donc de découper les parcelles selon leur potentiel. Même sur la croupe de graves de Fourcas, un des secteurs les plus qualitatifs de l’aire d’appellation, on distingue plusieurs sites. Globalement, Fourcas est une zone précoce et les vins qui en sont issus ont des tanins plus fins
LES PARCELLES SONT DÉCOUPÉES EN FONCTION DE LEUR POTENTIEL.
que la moyenne. Mais la situation varie
selon le pourcentage d’argile du sol. « Par exemple, Cabireau et Lalande sont deux parcelles de cabernet-sauvignon qui sont plus argileuses que les autres, on doit y attendre la maturité des raisins plus longtemps, précise Caroline Artaud, directrice du château Fourcas Hosten. Alors qu’à deux pas, dans la parcelle Le Nord, les résultats sont très réguliers. »
Découpages
Le vignoble de Fourcas Dupré est implanté sur un terroir majoritairement graveleux. Là encore, le caractère argileux des sols distingue les parcelles. Mais les secteurs les plus humides ne sont pas toujours là où l’on pense… Sur le haut de certaines croupes de graves argileuses, l’eau peut stagner car la couche d’argile sous-jacente peut former une sorte d’assiette creuse remplie de graves et qui retient l’eau. A contrario, sur le plateau argilo-calcaire, lorsque le socle calcaire est proche de la surface, il peut permettre une excellente régulation hydrique.
La connaissance très fine du terroir permet de valoriser le potentiel des parcelles en faisant les bons choix terroir/cépages et en ajustant les pratiques viticoles. « On s’adapte aujourd’hui de façon beaucoup plus fine au caractère de chaque parcelle, observe Patrice Pagès, propriétaire du château Fourcas Dupré. Ici, dans cette zone du Fourcas (pithon), les sols sont plus argileux dans la partie basse. Ainsi, le haut est planté en cabernet-sauvignon et le bas en merlot. Mais plus loin sur cette même croupe, la situation s’inverse, le merlot est alors planté en haut. »
C’est pour mettre en lumière les qualités du terroir de Fourcas Hosten que Renaud et Laurent Momméja,
propriétaires du domaine depuis 2006, ont lancé une ambitieuse restructuration du vignoble. « Depuis 2014, pour améliorer l’adéquation terroir/cépages ou la qualité du matériel végétal, nous
avons arraché 9 hectares sur 45 » , révèlent Caroline Artaud et Renaud Momméja. Il est aussi prévu de donner plus de place au cépage petit verdot, en passant de
2 à 5 % dans les assemblages. « Un travail qu’il faut reconsidérer chaque année avec précision, car même si le petit verdot peut donner un très beau vin, il ne trouve pas forcément sa place dans l’assemblage final » , ajoute l’oenologue Éric Boissenot, consultant de ce domaine ambitieux.
À FOURCAS HOSTEN, IL EST PRÉVU DE LAISSER PLUS DE PLACE AU PETIT VERDOT.
Alain Meyre (château Cap Léon Veyrin) et ses enfants regardent aussi de près leur petit verdot avant de décider la place qu’il prendra dans les vins. « Il ne mûrit pas parfaitement tous les ans et entre dans nos assemblages trois ans sur cinq en moyenne », signale l’ancien président de l’ODG Médoc, Haut-Médoc et Listrac. Ancien dôme calcaire
L’est de l’appellation est marqué par le calcaire avec des sols plus ou moins profonds et plus ou moins riches en argile et calcaire. On note aussi des zones de graves issues de la terrasse 3, avec des sols plus maigres et plus caillouteux que ceux issus de la terrasse 1, mais bien moins représentées qu’à Moulis (Grand Poujeaux).
Le dôme de Peyrelebade correspond au coeur du plateau argilo-calcaire, mis à nu par l’érosion. Ailleurs dans l’appellation, ce plateau est recouvert par des dépôts plus récents. Le vignoble de château Clarke est implanté dans sa totalité sur ces sols argilo-calcaires. « Notre meilleur merlot est situé sur une butte (La Grange) qui permet un drainage excellent. De plus, la zone est ventilée et le sol argileux est peu épais au-dessus du socle calcaire. Autant d’atouts qui permettent d’attendre sereinement que
le raisin soit à maturité optimale » , note Fabrice Darmaillacq, directeur technique. L’absence de graves dans le vignoble explique pourquoi le merlot atteint 70 % de l’encépagement. Le cabernet-sauvignon du château Clarke est implanté dans la partie centre ouest et dans la partie nord de Peyrelebade, soit les zones les plus calcaires du domaine et de l’appellation.
Il n’existe pas de vin blanc classé Listrac-Médoc (ils sont en AOC Bordeaux). Pourtant, le caractère tardif de l’appellation et ses terres souvent argileuses et fraîches en font un terroir très intéressant pour les vins blancs. Les châteaux Clarke (Le Merle blanc) ou Fonréaud (Le Cygne) ont ainsi produit un blanc réputé dès le XIXe siècle. Et l’on voit aujourd’hui s’installer sauvignon blanc, sauvignon gris, sémillon et muscadelle, même s’ils ne représentent encore que 14 hectares sur 748. Comme par exemple, sur les parcelles les plus argileuses du vignoble du château Fourcas Hosten (aux portes du village de Listrac), qui produit depuis 2014 un vin blanc ample, précis et plein d’éclat.
(1) L’océan et la Gironde ont un effet thermique régulateur. Pluviométrie moyenne : 800 à 850 mm par an.
(2) Au même titre que le tiers nord-ouest du vignoble médocain, le nord du Blayais ou certaines zones de l’Entre-deux-Mers telle SainteFoy-la-Grande (Benjamin Bois, Variabilité spatiale du climat en Gironde viticole).