Bordeaux n’est plus prophète en son pays
Incroyable mais vrai : les bordeaux disparaissent peu à peu des cartes des vins des restaurants de la capitale aquitaine. Et ce au profit d’autres appellations françaises et de vins du monde. Un nouvel avatar du “Bordeaux bashing”, cette fois à domicile ?
Un samedi soir à B ordeaux. J’accompagne des amis belges, fins connaisseurs, dans l’un de mes restaurants préférés, L’Univerre, à deux pas du Palais de Justice. Arrive la carte des vins et là, stupeur. « Dis donc, tu es sûr qu’on est à Bordeaux ? » , me lance, goguenard, l’un des convives. En effet : sur les 1 500 étiquettes référencées sur la carte du restaurant, seules 15 % sont issues du vignoble
bordelais ! Mon ami s’étonne : « Je ne comprends pas ce faible pourcentage… Dans les restaurants et les bars à vins de Dijon, on ne trouve que des bourgognes. Et à Logrono,
en Espagne, on ne trouve que des riojas ! » . Là-bas, en effet, les vins locaux sont mis en avant avec fierté et représentent la majorité des flacons proposés sur les cartes.
Cette anecdote est loin d’être une exception à Bordeaux. Bien au contraire : pour appâter une clientèle chic et aisée, les meilleures adresses vin de la ville mettent aujourd’hui en avant leurs cartes de vins… hors bordeaux. Pourtant, la capitale de la région Nouvelle Aquitaine n’a jamais été aussi attractive et touristique et la demande de vins de Bordeaux croît dans le monde. Alors pourquoi donc ces établissements réputés s’entêtent-ils à proposer majoritairement bourgognes, vins du Rhône et autres crus du Languedoc, au détriment des vins régionaux ?
« Ici, on ne boit guère de côtes-du-rhône… »
« Il y a vingt ans, on ne trouvait que du bordeaux à
Bordeaux » , souligne Gaël Geffroy, copropriétaire du bar à vins Le Point Rouge, situé sur les quais près de la gare Saint-Jean. Éric Clerc, agent et représentant commercial de grands domaines et maisons viticoles devenu le professionnel le plus en vue de la ville, confirme avec une anecdote édifiante. En 2005, il arrive à Bordeaux avec une très belle allocation à distribuer du réputé Château des Tours d’Emmanuel Reynaud, par ailleurs propriétaire de château Rayas. Le premier sommelier qu’il rencontre est Jan Buissière, du restaurant L’Estacade, aujourd’hui propriétaire de la cave à manger Vins Urbains. La réponse de Jan fuse : « Ça ne m’intéresse pas. Tu sais, à Bordeaux, on ne boit guère de côtes-du-rhône… » . Pourtant, après maintes dégustations pédagogiques, la parole d’Éric Clerc finit par porter et les commandes affluent. Le jeune homme descendu de Paris vendra cette année-là plus de 5 000 bouteilles de Château des Tours ! Le succès est tel que l’ombrageux Emmanuel Reynaud l’appelle, méfiant :