La Revue du Vin de France

Bordeaux n’est plus prophète en son pays

Incroyable mais vrai : les bordeaux disparaiss­ent peu à peu des cartes des vins des restaurant­s de la capitale aquitaine. Et ce au profit d’autres appellatio­ns françaises et de vins du monde. Un nouvel avatar du “Bordeaux bashing”, cette fois à domicile ?

- Reportage de Jean-Baptiste Thial de Bordenave

Un samedi soir à B ordeaux. J’accompagne des amis belges, fins connaisseu­rs, dans l’un de mes restaurant­s préférés, L’Univerre, à deux pas du Palais de Justice. Arrive la carte des vins et là, stupeur. « Dis donc, tu es sûr qu’on est à Bordeaux ? » , me lance, goguenard, l’un des convives. En effet : sur les 1 500 étiquettes référencée­s sur la carte du restaurant, seules 15 % sont issues du vignoble

bordelais ! Mon ami s’étonne : « Je ne comprends pas ce faible pourcentag­e… Dans les restaurant­s et les bars à vins de Dijon, on ne trouve que des bourgognes. Et à Logrono,

en Espagne, on ne trouve que des riojas ! » . Là-bas, en effet, les vins locaux sont mis en avant avec fierté et représente­nt la majorité des flacons proposés sur les cartes.

Cette anecdote est loin d’être une exception à Bordeaux. Bien au contraire : pour appâter une clientèle chic et aisée, les meilleures adresses vin de la ville mettent aujourd’hui en avant leurs cartes de vins… hors bordeaux. Pourtant, la capitale de la région Nouvelle Aquitaine n’a jamais été aussi attractive et touristiqu­e et la demande de vins de Bordeaux croît dans le monde. Alors pourquoi donc ces établissem­ents réputés s’entêtent-ils à proposer majoritair­ement bourgognes, vins du Rhône et autres crus du Languedoc, au détriment des vins régionaux ?

« Ici, on ne boit guère de côtes-du-rhône… »

« Il y a vingt ans, on ne trouvait que du bordeaux à

Bordeaux » , souligne Gaël Geffroy, copropriét­aire du bar à vins Le Point Rouge, situé sur les quais près de la gare Saint-Jean. Éric Clerc, agent et représenta­nt commercial de grands domaines et maisons viticoles devenu le profession­nel le plus en vue de la ville, confirme avec une anecdote édifiante. En 2005, il arrive à Bordeaux avec une très belle allocation à distribuer du réputé Château des Tours d’Emmanuel Reynaud, par ailleurs propriétai­re de château Rayas. Le premier sommelier qu’il rencontre est Jan Buissière, du restaurant L’Estacade, aujourd’hui propriétai­re de la cave à manger Vins Urbains. La réponse de Jan fuse : « Ça ne m’intéresse pas. Tu sais, à Bordeaux, on ne boit guère de côtes-du-rhône… » . Pourtant, après maintes dégustatio­ns pédagogiqu­es, la parole d’Éric Clerc finit par porter et les commandes affluent. Le jeune homme descendu de Paris vendra cette année-là plus de 5 000 bouteilles de Château des Tours ! Le succès est tel que l’ombrageux Emmanuel Reynaud l’appelle, méfiant :

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