In vranec veritas

Avant que l’Allemagne réunifiée, secondée par ses alliés d’Amérique du Nord, n’encourage la dispersion de l’Europe centrale et balkanique façon puzzle, la Macédoine était la région de l’ancienne Yougoslavie chargée de l’approvisionnement du pays en vin, céréales et tabac. Depuis son indépendance, en 1991, cette vocation agricole n’a pas cessé.

L’automne dernier, j’étais à Skopje pour goûter les vins du coin. Le ciel et l’air étaient doux. En compagnie d’Emmanuel Rimbert, directeur de l’Institut français de Skopje, j’ai traversé le pays du nord au sud dans le sens de la largeur. Dans la région de Tikves, j’ai rencontré Andon Krstevski, chef de cave de la maison Stobi. Andon aime autant l’histoire que les vins de son pays. Grâce à Mincho Jordanov, le propriétaire de Stobi, il possède un outil de travail fabuleux : « Nous n’achetons pas de raisin. C’est unique dans la région. Tout le raisin vinifié ici vient de nos

600 hectares de vignes » . Les étiquettes du domaine portent un paon qui reproduit l’oiseau royal d’une mosaïque du site archéologique de Stochi. Emmanuel Rimbert m’a fait remarquer qu’il y avait des paons dans tous les domaines viticoles en Macédoine : « C’est un symbole chrétien de

fertilité et d’immortalité » . En Macédoine, comme partout sur la terre à l’heure du vin mondialisé, une question se pose : produire du vin que l’on trouve partout ailleurs ou du vin que l’on ne trouve nulle part ? Esprit délié et subtil, Andon Krstevski a fait le pari

« Pour Andon, c’est avec ce raisin, qui donne naissance à des vins puissants et aromatiques, que la viticulture nationale peut trouver sa voie et sa vérité. »

de proposer les deux à la fois. Le blanc qu’il produit à partir de rkatsiteli, est vif, fringant, avec une belle acidité. Le rkatsiteli est l’un des plus anciens cépages de Géorgie. Il a été planté dans l’ancienne Yougoslavie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale après avoir été offert par Staline à Tito en remerciement de sa participation à la victoire. « Le rkatsiteli a trouvé son deuxième domicile en

Macédoine » , se félicite Andon. Naguère stagiaire au domaine Claudine Moine-Champy à Fixin et dans un domaine bordelais dont il garde un mauvais souvenir, Andon est un ami de la France. Son inspiration est large. Après avoir passé un diplôme national d’oenologue à l’Institut Jules-Guyot de Dijon, il a vinifié en Serbie, en Suisse et en Nouvelle-Zélande. De retour dans son pays natal, il s’est attaché à mettre en valeur le vranec, un cépage rouge typique des Balkans et particulièrement de la Macédoine.

Pour Andon, c’est avec ce raisin, qui donne naissance à des vins puissants et aromatiques, que la viticulture nationale peut trouver sa voie et sa vérité. Au domaine Stobi, la cuvée Veritas a pour vocation de le révéler dans toute sa splendeur. « C’est un cépage sauvage. Après la vinification, le défi est de calmer le vin. Pour arriver à un vin plus tendre, plus fruité, il passe deux ans en barriques et deux

ans en bouteille avant d’être vendu. » Dans la petite ville de Gradsko, nous avons dégusté les millésimes 2012 et 2013. C’est comme ça, et pas autrement, que nous en sommes venus à parler des irascibles voisins grecs et d’Alexandre le Grand. 