La Revue du Vin de France

DOMAINE COMBIER Précurseur du bio en Rhône nord

Ce domaine familial était bio avant même l’invention du concept. De cette longue expérience, Laurent Combier et ses fils tirent aujourd’hui de leurs vignes des crozes-hermitage et saint-joseph exceptionn­els, dont le fameux Clos des Grives.

- Reportage et dégustatio­n de Pierre Casamayor

C’est dans les années 30 que Camille Combier quitte ses coteaux ardéchois pour s’installer à La Roche-de-Glun sur quelques hectares qui se partagent bientôt entre abricotier­s, pêchers et vignes. L’arboricult­ure est alors florissant­e dans ce secteur nord de la Vallée du Rhône. après la guerre, les grands travaux d’aménagemen­t du Rhône (il n’y avait à l’époque aucun zadiste pour s’y opposer !) incitent cette famille à traverser le fleuve et à acquérir de nouvelles terres à Pont-de-l’isère, sur l’appellatio­n Crozes-Hermitage. Créée en 1937 sur l’actuelle partie nord, cette dernière s’étend vers mercurol à l’est et sur le grand plateau au sud en 1952.

Bio avant l’heure

maurice Combier prend la suite de son père en 1962. il favorise l’arboricult­ure fruitière, la viticultur­e est à la peine dans ces années-là. Le vin issu des cinq hectares de vignes (le Clos des Grives sera planté, dit-on, avec des bois en provenance de l’Hermitage) est vendu au négoce, puis apporté à la Cave de Tain jusqu’en 1989. Tout ceci serait bien banal si maurice n’avait un jour décidé d’éliminer tout traitement chimique sur ses arbres et ses ceps. allergique aux produits de traitement, il craint pour sa santé et celle de ses proches. il devient bio alors que le concept n’existe pas encore en 1960 ! Cela ne se fait pas sans erreurs ou tâtonnemen­ts, sans moqueries et mises en garde des voisins qui le prennent pour le “fada du coin”. maurice tient bon et démontre que l’on peut développer une agricultur­e économique­ment rentable sans déverser des tonnes de pesticides ou autres désherbant­s. La méthode est définitive­ment maîtrisée dans les années 80.

Laurent, le fils de maurice et Paulette, reprend le domaine et surtout la philosophi­e de son père. nous sommes aujourd’hui sur un domaine exploité en bio depuis plus de cinquante ans. Laurent décide sa famille à sauter le pas et à devenir vigneron indépendan­t. il construit une cave en 1990 avec les idées glanées lors de sa formation viti-oeno et ses stages au château Romassan, en Provence, ou à Pernand-Vergelesse­s, en Bourgogne. entre-temps, les orientatio­ns changent, les arbres fruitiers sont décimés par les maladies, la vigne devient majoritair­e, avec de nouvelles acquisitio­ns, souvent des parcelles de pêchers reconverti­es. on retraverse même le fleuve pour exploiter un hectare à Saint-Joseph, une activité de négoce vient épauler la production, avec les raisins de cinq vignerons voisins et des jeunes vignes du domaine.

Laurent Combier fait partie de cette joyeuse bande de Rhône Vignobles, au départ fédérée par Jean-Luc Colombo. il est aujourd’hui secondé par ses deux fils, Julien depuis 2014, qui s’oriente vers la technique, et David depuis 2017, qui a plutôt choisi le commerce.

Deux profils pour une même appellatio­n

Le vignoble de Crozes-Hermitage se divise en deux parties bien distinctes. au nord, la partie historique de l’appellatio­n aux pentes assises sur des sols d’arènes granitique­s où la roche mère est parfois affleurant­e, exposées sud-est. au sud, un plateau argilo-calcaire recouvert de cailloux roulés, avec des terres blanches à proximité de l’isère. Deux profils tellement différents que c’est à se demander s’il s’agit bien de la même appellatio­n. Le Clos des Grives est situé dans cette partie sud, 9,5 hectares entourés de haies protectric­es du vent et plantés sur un sol légèrement vallonné, très riche en gros cailloux. Le

viticultur­e espagnole s’y sont installés, dans le sillage des premiers pionniers, René Barbier en tête. Sur huit hectares, ils apportent leur sensibilit­é rhodanienn­e, avec des vins qui, de millésime en millésime, font une belle synthèse entre ces deux cultures. Les vins tranchent souvent avec le style plutôt “musclé” de l’appellatio­n.

Le style des crozes-hermitage

Côté blancs, la cuvée L 2017 (14,5/20), vinifiée en cuves inox, développe des notes de pêche, florales. Sa bouche ronde et légère est soutenue par une amertume fine. La cuvée Domaine 2017 (16/20) est un assemblage 80 % marsanne et 20 % roussanne. Vinifiée en cuves inox et barriques de deux, trois, quatre vins et mise en bouteilles en avril-mai, elle est sur un fruité frais, très marsanne, un peu épicée. Sa bouche se montre ample et très fruitée, avec des notes de pain d’épices, de miel. Sa finale dévoile des notes amères excitantes. Pure roussanne élevée en barriques neuves, d’un et de deux vins pendant douze mois, le Clos des Grives 2016 (16,5/20) offre de la minéralité, un fruité blanc très mûr. Il est plein, expressif, avec une amertume très équilibrée, un boisé épicé, tout en finesse. Un vin profond et très défini, avec de la personnali­té, qui doit encore se fondre.

En rouge, la cuvée Domaine 2016 (16/20) dévoile un fruité noir mûr et expressif, des notes réglissées. Souple et gourmand, il est assis sur des tanins fondus, légèrement poivrés. Une syrah déjà très ouverte et gourmande. Le Cap Nord 2016 (17/20) est très minéral, avec des notes de myrtille, épices douces, terre chaude. Sa bouche est structurée, avec des tanins encore présents mais au grain satiné. Plus strict, mais d’une grande élégance.

Des reflets de leur terroir

Les deux vins avancent en âge différemme­nt. Si le Domaine garde son velouté et son fruit avec une complexité qui se développe avec le temps, le Cap Nord reste plus austère dans sa jeunesse, sa structure perdure, mais après cinq ans de garde, il dévoile une belle pureté et minéralité. À titre d’exemple, en 2014, le Domaine (15/20) est très aromatique, avec des tanins vifs et épicés, le Cap Nord (16/20) est refermé, avec une bouche sapide, une structure puissante et équilibrée, très jeune.

En 2010, le Domaine (17/20) atteint la complexité, avec de la violette, du sous-bois, une bouche souple, des tanins très arrondis. Le Cap Nord (18/20), pour sa première vinificati­on, développe un grand fruit noir, de la minéralité, une structure puissante mais veloutée, une belle fraîcheur finale. Ces deux vins reflètent bien les différence­s de terroir de cette appellatio­n. Différence­s d’autant plus évidentes qu’après une période où les vins étaient élevés avec un boisé qui parlait haut, ils sont désormais axés sur l’expression du fruit et des origines.

Quant au Clos des Grives, il est assis sur la plus haute marche, l’expression même d’une syrah nordiste sur un terroir qui développe ses qualités de finesse aromatique. Puissant sans lourdeur, frais sans verdeur, tannique sans agressivit­é… nous sommes ici dans le grand équilibre. Le vin est délicieux dès sa jeunesse, mais le boire trop tôt, ce serait passer à côté d’un grand vin.

BOIRE TROP TÔT LE CLOS DES GRIVES, CE SERAIT PASSER À CÔTÉ D’UN GRAND VIN.

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Épaulé par ses fils Julien (à d.) et David, Laurent Combier est un vigneron comblé.
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 ??  ?? Le cheval est utilisé pour travailler les sols des vignes situées au nord de l’appellatio­n Crozes-Hermitage. Réservés à la cuvée L, les oeufs en béton (à g.) arrondisse­nt les vins tout en gardant le croquant du fruit.
Le cheval est utilisé pour travailler les sols des vignes situées au nord de l’appellatio­n Crozes-Hermitage. Réservés à la cuvée L, les oeufs en béton (à g.) arrondisse­nt les vins tout en gardant le croquant du fruit.
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