La Revue du Vin de France

Une saine querelle

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Êtes-vous Grand cru classé ou bien préférez-vous la gouaille frondeuse d’un “Vin de France” ? Et d’abord, est-il permis d’aimer les deux ? Depuis dix ans, la rivalité entre les appellatio­ns d’origine contrôlée et le prolifique maquis des “Vins de France” passionne la communauté des connaisseu­rs. Et La Revue du vin de France se réjouit de sonder dans ce numéro deux univers aussi différents.

D’une certaine façon, le vignoble de Saint-Émilion incarne à lui seul l’épopée des AOC. Premier syndicat viticole de France créé en 1884, organisé en plusieurs AOC depuis 1936, titulaire d’un classement révisable depuis 1955, premier vignoble français inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, Saint-Émilion et ses Grands crus sont l’archétype du vignoble qui aime l’ordre et cultive le sens de la hiérarchie.

Après les Premiers Grands crus classés, Pierre Citerne explore ici la vaste famille des Grands crus classés de Saint-Émilion, soit 62 châteaux et leurs terroirs. Et il est fascinant de découvrir que cet univers si finement cadastré, mesuré, analysé depuis plus d’un siècle réserve encore tant de surprises et d’émerveille­ment dans le verre dès que le talent d’un propriétai­re ou d’un vinificate­ur s’en mêle. D’une certaine manière, oui, le cadre étroitemen­t corseté de Saint-Émilion favorise l’émulation et la créativité.

L’univers des “Vins de France” est nettement plus libertaire et bigarré. Créée en 2009 pour remplacer le vénérable “Vin de table”, cette dénominati­on laisse la plus grande liberté à ses adeptes. Libres penseurs ou retoqués des AOC (voire des IGP), ce label a les faveurs d’une foultitude de vignerons qui n’aiment rien moins que détricoter règlements, contrainte­s et normes, avec parfois une belle ambition. À l’aveugle, le comité de dégustatio­n de La RVF a jugé 27 “Vins de France” en essayant de savoir s’ils restituaie­nt (ou pas) la signature de leurs terroirs. Avec quelques déconvenue­s… et des bonnes surprises.

Chacun jugera en son âme et conscience, et selon ses goûts naturellem­ent. Mais tirons déjà quelques leçons de l’exercice. Et pour commencer, célébrons la vigueur du vin : tandis que les filières industrial­isées du lait ou des céréales se voient rattrapées par le laminoir de la mondialisa­tion, le vignoble, malgré ou à cause de ces escarmouch­es autour de nos AOC, se régénère sous nos yeux. Comment ne pas voir que le savoir-faire de nos artisans-vignerons fait rêver à la fois les connaisseu­rs chevronnés et ces nouvelles génération­s qui adorent repousser les limites ?

On méditera aussi sur le cheminemen­t de certains anciens contempteu­rs des AOC devenus des producteur­s réputés en “Vin de France”. Ainsi, l’excellent Mark Angeli, de la Ferme de la Sansonnièr­e, son fils Martial et son associé Bruno Ciofi veulent créer aujourd’hui en Anjou des “climats” à la bourguigno­nne pour « permettre aux vignerons volontaire­s de respecter

un cahier des charges d’excellence » . Autrement dit, ceux qui ont quitté les AOC réclament des règles plus sévères que celles de l’appellatio­n. Comme si le joyeux capharnaüm des “Vins de France” montrait au fil du temps quelques limites. L’ordre et la liberté ne vont pas l’un sans l’autre, disaient déjà les Romains.

« MALGRÉ OU À CAUSE DES ESCARMOUCH­ES AUTOUR DE NOS AOC, LE VIGNOBLE SE RÉGÉNÈRE SOUS NOS YEUX. »

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DENIS SAVEROT directeur de la rédaction

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