La Revue du Vin de France

L’école amoureuse du vin

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« Lancer une école du vin, quel plus beau projet ? »

La promesse d’un déjeuner peut éclairer une journée. Particuliè­rement s’il s’agit de retrouver un bon compagnon : avec eux, on file à l’essentiel, c’est simple et délicieux comme un éclat de rire.

Alexandre Bader fait le tour du monde trois fois par an pour vendre les champagnes de la maison Billecart-Salmon, ses fins cernes bistrés en témoignent. Et bien sûr, avec lui, on parle voyages. L’avantage de Paris sur New York ? L’art du déjeuner, justement. « New York est fabuleuse, mais le déjeuner n’existe plus là-bas. Les gens sont trop pressés » , me confie Alexandre. « Bon, poursuit-il avec un sourire, les Américains sont plus efficaces que nous, ceci explique peut-être cela… »

« Mais plus je sillonne le monde, plus je sais une chose : pour la cuisine, les vins ou l’hôtellerie, la scène majeure reste Paris » , me dit-il en engloutiss­ant une combinaiso­n huître échalote et framboise signée David Toutain, le chef de la rue Surcouf. « Tu sais, j’ai goûté des scarabées à Lima, testé pas mal d’enchiladas à Mexico : crois-moi, on en revient… »

Justement, que pense-t-il de la place du champagne en France où les ventes, pour la première fois depuis cinquante ans,s’ e ssoufflent ?« Trop de monde en produit, de moins en moins de gens ont les moyens d’ en acheter. Du coup, pour vendre, les producteur­s mi sent de plus en plus sur les réseaux digitaux automatiqu­es et robotisés, ce qui anéantit les réseaux humains. »

Je regarde Alexandre tandis qu’arrive un brézé Clos de Carmes 2014 de Romain Guiberteau, un chenin d’une classe folle. Que veut-il dire ?

« Nous basculons dans le Tinder du vin. En ligne, les gens essaient une fois un pauillac, puis un autre, ensuite un p es sac-léogn an, puis un toscan… La curiosité prend l’ ascendant sur l’amour et la fidélité, il devient difficile d’installer une maison, un domaine, une histoire. » Nous en venons à parler de formation, d’apprentiss­age. « Tu sais, me dit-il, on a des tas d’écoles de commerce en France mais on n’apprend plus à vendre le vin. »

Et à le déguster, à le connaître, à l’apprécier ? Au fil de notre conversati­on, me reviennent les images de Grains Nobles, cette fabuleuse école lovée dans le sous-sol d’une boutique obscure, sur le flanc de la Montagne Sainte-Geneviève, non loin du Panthéon. Là, dans cette petite cave de rien du tout, vingt places au mieux sur des bancs de bois, le volubile André Bessou, maître de cérémonie, accueillai­t avec l’accent gascon les plus grands vignerons du monde venus présenter leurs glorieuses verticales : Aubert de Villaine, Alexandre de Lur Saluces, Dominique Lafon, Michel Delon du château Léoville Las Cases, les Hugel, les Perrin, Philippe Charlopin, Hubert de Montille ou encore Olivier Bernard. C’est là que de futures stars tels Richard Leroy, alors banquier, Frédéric Engerer, Alexandra de Vazeilles, le jeune Axel Marchal ou un certain Pascal Marquet, qui depuis a repris Grains Nobles, venaient suivre les dégustatio­ns commentées par un tandem érudit, Michel Bettane et Bernard Burtschy, à l’époque les porte-drapeaux de La RVF.

Grains Nobles, c’était un peu le cénacle de l’étudiant d’Arthez dans La Comédie Humaine. Même lieu: à deux pas de la Bibliothèq­ue Sainte-Geneviève. Et comme dans Balzac, il n’ était jamais question du prix du vin, seulement du plaisir qu’il procurait.

Du coup, j’ai raconté à Alexandre notre projet d’école. Vingtcinq ans après l’aventure commune avec Grains Nobles, La RVF va lancer une école du vin. La demande est là : de nombreux jeunes Chinois, Coréens, Russes, Brésiliens sont prêts à venir chercher un diplôme sur le vin à Paris. Et des Français y songent aussi, naturellem­ent. Il faudra bien sûr renouer avec cet esprit de générosité, de partage de la connaissan­ce, avec cet amour sincère du vin qui était la signature des soirées Grains Nobles. J’ai eu l’occasion d’évoquer ce projet avec des personnali­tés tels François Pinault ou Philippe Capdouze, président de Ficofi : ce projet les intéresse beaucoup. Exaltant, non ?

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