La Revue du Vin de France

La parabole de Cassis

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C’est une éblouissan­te tache d’or bordée de bleu. Cassis ! Il faut avoir gravi la route menant au sommet du cap Canaille, la plus haute falaise d’Europe, pour prendre la mesure de ce havre ceint de roches blanches et ouvert sur la Méditerran­ée.

Cassis et son histoire puissante : la grotte Cosquer et ses fresques dessinées voici 27 000 ans, les monnaies romaines enfouies dans le sable de la plage de l’Arène, la charte accordée aux Cassidains par le roi François Ier, comte de Provence. Cassis et les mots chantants de Frédéric Mistral : « Qu’a vist Paris e noun Cassis a ren vist » , autrement dit : “Qui a vu Paris et pas Cassis n’a rien vu” !

Cassis et ses vins blancs. Portée par sa marsanne et sa clairette, l’appellatio­n est l’une des plus anciennes de France, pionnière dans le Midi aux côtés de Châteauneu­f-du-Pape et Tavel. Du coup, on est un peu surpris de voir que la réputation des vins de Cassis est aujourd’hui en berne…

J’en ai eu la confirmati­on l’autre jour, en ouvrant la dernière édition de notre “Guide vert” : pas le moindre vin de Cassis ! Alexis Goujard, notre champion de la Provence, confirme : le dernier domaine cassidain est sorti du guide en 2018. Pécaïre ! Cassis la belle s’est assoupie, tandis qu’autour d’elle des domaines tels Trévallon et Hauvette plus au nord, près des Baux, ou encore Cibonne et Terrebrune à l’est devenaient les porte-drapeaux de l’esprit provençal.

L’histoire de Cassis est celle d’un certain nombre de nos appellatio­ns, aujourd’hui malmenées. Le vin change si vite. Prenez le cas de Miraval, à 50 kilomètres de Cassis à vol de bartavelle. Là, sur la commune de Correns, nulle fresque paléolithi­que ni monnaies romaines mais un modeste château-bastide encadré par des collines sauvages, sans passé glorieux, hormis le séjour d’un obscur prince de Naples au XVIe siècle et le passage des Pink Floyd venus enregistre­r un album à la fin des années 70.

Jusqu’à ce jour de 2011 où un couple d’acteurs américains riches et célèbres, Brad Pitt et Angelina Jolie, rachète l’endroit. Tombés amoureux du lieu, les deux jeunes gens ont envie de faire du vin. Ils s’associent à une dynastie vigneronne provençale, les Perrin, réputée à juste titre pour son château de Beaucastel. La notoriété mondiale de nos deux stars va faire le reste. Cet endroit sans histoire, sans édit royal ni chant des Félibres, va d’un seul coup d’un seul se retrouver premier rosé classé dans le top 100 du Wine Spectator, adulé par la critique mondiale, porté aux nues de Djarkarta à Honolulu. À Miraval, on produit désormais une cuvée Pink Floyd…

Morale de l’histoire : même en Provence, il est risqué de se reposer sur ses lauriers. Gâtée par la nature, Cassis s’est alanguie, comme Pouilly-Fumé dans la Vallée de la Loire, autre appellatio­n fameuse aujourd’hui somnolente. Les vignerons seront avisés de reprendre les choses en main et c’est ce qu’ils font à Cassis au domaine du Bagnol, au domaine du Paternel ou encore au Clos Sainte Magdeleine. Au domaine du Bagnol en particulie­r, Sébastien Genovesi s’est mis en tête de sélectionn­er et de replanter les cépages historique­s locaux, pascal blanc et bourboulen­c, qui sont au vin de Cassis ce que les girelles, gobies, serrans et autres pataclets sont à l’authentiqu­e bouillabai­sse. Le jeune homme relance aussi des macération­s pelliculai­res sur de vieilles marsannes : j’ai pu goûter les 2019, c’est délicieux et prometteur.

Saluons ces efforts : c’est en travaillan­t dur que l’on démontrera que le génie local, ce lien charnel entre les hommes, un lieu identifié et une histoire, peut continuer à exister et à faire rêver au côté du marketing mondialisé. Nous y reviendron­s. D’ici là, bonnes fêtes à chacun et chacune d’entre vous.

« Même en Provence, il est risqué de se reposer sur ses lauriers »

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