La Revue du Vin de France

Du rosé pour Noël

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La gloire présente du rosé, c’est son malheur. Comme le champagne a été réduit à sa bulle, ce vin à la réputation ancienneme­nt établie, de Bandol à Tavel, souffre aujourd’hui d’être exclusivem­ent défini par sa couleur. Et celle-ci en est de moins en moins une.

Cesdernier­stemps,leroseduro­séestgénér­alementune non couleur, une teinte d’Apocalypse, une nuance de fin dumonde.Songeonsà LaRoute, lechefd’oeuvredeCo­rmac McCarthy. L’idée marketing qui se cache derrière la robe évanescent­e des “rosés piscine”, parfois commercial­isés dans des bouteilles bleues, c’est que l’absence de couleur serait un gage de légèreté, de buvabilité et de digestibil­ité. « Un vin pour les filles » , jurent les publicitai­res. C’est absurde. Quinze centilitre­s de gin parfaiteme­nt transparen­ts vous tordent les boyaux illico alors que la dégustatio­n d’un verre du tavel à la robe framboise que produit Éric Pfifferlin­g au domaine l’Anglorre est un moment de bonheur absolu, sans mauvaise humeur, maux de ventre ni maux de tête.

Il est l’heure de sauver le rosé des interventi­ons et des modesdecon­sommationv­ulgaires.L’heuredecél­ébrerles grands rosés de gastronomi­e. Je pense ici au rosé que produit Pascal Amoreau, à Saint-Cibard, une perle du terroir bordelais. Le rosé Château le Puy 100 % merlot est classé en vin de France. Mais qu’importe son état civil. Il est puissant, racé, élégant, structuré. Et quelle couleur ! Il faut goûter ce vin à la robe soutenue pour comprendre enfin que les arômes floraux et la belle fraîcheur ne sont pas l’exclusivit­é

Sébastien Lapaque

Écrivain, chroniqueu­r littéraire et solide buveur.

des vins à la robe pâle. Bien au contraire. Les rosés clairs comme des gris tout juste bons à être bus glacés à l’heure de l’apéritif dans les bistrots de plage sont le plus souvent tristes et mous.

C’est au réveillon de Noël que je propose de servir le rosé du château le Puy pour accompagne­r le saumon fumé. Avec la dinde aux marrons, je servirais le bandol rosé du domaine de La Bégude, cuvée L’Irréductib­le. Mâtin quel vin!Etquelleco­uleurétonn­anteencore­unefois.Tellement foncé qu’il a parfois été déclassé en vin de France. Mais ce bandol, comme Guillaume Tari, le vigneron qui le produit entre La Cadière-d’Azur et Le Plan-du-Castellet, reste bel et bien irréductib­le.

Arrive le plateau de fromages. Cette année, je ne le compose que de chèvres et de brebis. Et j’ouvre une bouteille de la cuvée Nuances du château de Pibarnon, un bandol rosé encore une fois, partiellem­ent élevé dans des amphores de grès blanc, vif, pointu, élégant. Avec la bûche à la vanille, mes commensaux ne comprendra­ient pas que je ne fasse pas sauter un bouchon de champagne. Pour que la soirée se prolonge dans la joie de la Nativité, je pose sur la table un magnumdech­ampagneDra­ppierGrand­eSendréero­sé,le millésime 2008. Il a lui aussi une robe soutenue, marquée parlepinot­noir.Nousleboir­onstendrem­ent,sanslenteu­r.

C’est comme ça, et pas autrement, que nous reprendron­senchoeur Il est né le Divin Enfant, jouez hautbois, résonnez musettes !

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