Du grand Languedoc
À la recherche qui est resté… caché
Une séduisante dégustation à l’aveugle se promettait d’esquisser le profil du grand vin rouge languedocien… Peine perdue !
Les grands vins du Languedoc et du Roussillon à l’aveugle : l’affiche était alléchante ! Organisé avec le plus grand sérieux à l’initiative des négociants Laurent Calmel et Jérôme Joseph, à Montirat, près de Carcassonne, et en présence d’un huissier, l’événement avait pour ambition de nous éclairer sur l’élite actuelle de cette vaste région viticole. Au menu, uniquement des rouges, secs, vendus 50 euros minimum. Allait-on enfin décrocher le Graal : parvenir à esquisser le profil du grand vin rouge languedocien ?
Une par une nous furent servies vingt-deux cuvées. Et au fil du service, cette évidence : aucune ligne directrice ne se dégageait. Au contraire ! On passait d’un extrême à l’autre, du très mûr et très boisé, enkysté dans les années 90, au sous-mûr ligneux et acidulé se raccrochant aux dernières tendances du fooding. Une fois relevées les copies de la douzaine de dégustateurs présents (Bettane + Desseauve, Decanter) , l’huissier nous communiqua les résultats : un palmarès inattendu ! Premier : la Reserva Especial n° 4 de Rémy Pedreno (Roc d’Anglade), un vin atypique assemblant plusieurs millésimes. En deuxième place, La Madone de Calmel & Joseph, outsider absolu. Le Clos d’Ora, minervois haute couture de Gérard Bertrand, complète le podium.
UNAPPARENTCHAMBOULE-TOUT
Si certaines étiquettes célèbres s’en tirent bien (Gauby, Roc des Anges, Peyre Rose, La Grange des Pères, Les Aurelles), d’autres sont reléguées au bas du classement, devancées par des vins nettement moins connus. Cet apparent chamboule-tout procède autant des goûts discordants des participants que de l’hétérogénéité du profil des vins, très différents. On est libre de voir ici la marque vitale de la diversité, une ode à la liberté ; on peut aussi l’interpréter comme une flagrante immaturité stylistique. Quel avait été le critère de sélection des cuvées ? Uniquement le prix.
Cette dégustation n’a en définitive apporté que peu de réponses. Si certains producteurs que j’attendais au plus haut niveau ont bien répondu présents (Peyre Rose, Les Aurelles, Gauby,ClosMarie),d’autresm’ontdéçu(LaNégly,PrieuréSaint Jean de Bébian, Clos des Fées, La Grange des Pères), alors que des outsiders, comme le château Gilbert & Gaillard, tiraient leurépingledujeu.GérardBertrandconfirmeavectalentqu’il entend jouer dans la cour mondialisée des cuvées “ultra-premium” et Daumas Gassac nous rappelle l’originalité de sa proposition fondatrice, ce choix du cabernet que l’on pensait être il y a trente ans l’avenir du Languedoc.
La disparité des styles me semble cependant beaucoupplussignificativequelepalmarèsluimême. Quels sont donc l’identité commune, la matrice, le but de ces “grands vins” ?
ÀL’ORIGINE,L’ÉCLATDELASURMATURITÉ
Ayant suivi l’évolution de la région depuis vingt ans, je ne suis pas surpris par ce résultat en forme de point d’interrogation. La nature est généreuse en ces contrées méditerranéennes où vitis vinifera prospère depuis si longtemps. Avec l’aide du soleil et du vent, il est plus facile qu’ailleurs de produire ici de beaux raisins qui feront de bons vins. Mais peut-on en déduire qu’il est également plus facile de produire de grands vins ?
Cette notion-même de “grand vin” est une perpétuelle redéfinition, indexée sur les attentes des consommateurs. Si l’on s’accorde a minima sur l’idée que pour être grand, un vin doit être capable de procurer une émotion, par l’articulation et la complexité de ses éléments, si l’on y ajoute une notion de durée, on constatera que tout le monde ou presque, en
Languedoc et (surtout) en Roussillon, peut faire de grands vins mutés (vins doux naturels) ou non, oxydatifs (rancios) ou non et d’une façon générale de grands vins de surmaturité, c’està-dire des vins dont une part du degré d’alcool vient d’une maturation prolongée de la récolte de raisin au-delà des dates de vendanges habituelles.
Il est moins évident que chacun puisse y élaborer de grands vins secs, issus de raisins de maturité “modérée” ou “juste”. Au moment où les vins secs représentent la seule issue économique envisageable, le problème est accentué par l’évolution du climat, plus aride et plus torride, quand il n’est pas affecté par des dérèglements ponctuels dans le sens de l’humidité ou de la fraîcheur avec lesquels les vignerons ont du mal à composer (2014, 2018). Les données culturales pour le vigneron travaillant autour du golfe du Lion ne s’apparentent-elles pas à celles qu’ont domptées les vignerons de régions comme l’Andalousie, l’ouest de la Sicile ou la Vallée du Douro, réputées avant tout pour leurs vins de surmaturité, le plus souvent mutés ?
Une juxtaposition de propositions individuelles, sans cohérence
QUIDERRIÈRELESPRÉCURSEURS?
Revenons à nos vins secs du Languedoc et du Roussillon. L’équilibre entre sous-maturité et surmaturité est-il donc si difficile à atteindre ? Il semble que oui… Chaque petite région viticole de l’arc languedocien possède un, deux, au maximum trois vignerons ayant trouvé la clé, capables de produire des vins secs de haut niveau, pouvant tenir la dragée haute aux régions “classiques” (reconnues pour leurs vins secs depuis le Moyen Âge). Ce sont, à de rares exceptions près, les mêmes