Un Ibère archéologique
ExhumédelacavedePierreCasamayor,ce1978emblématique d’une des bodegas les plus traditionnelles de la Rioja offre à nos deux dégustateurs le charme d’une évolution patinée. Avant de les pousser à s’interroger sur la fragilité de la culture des “vieux vins”…
Pierre Citerne. Pierre, vous me gâtez avec cette Viña Ardanza de 1978. J’ai un faible pour les riojas “à l’ancienne”.
PierreCasamayor. À l’ancienne ? Pour moi, cette bouteille est archéologique ! Fermentation en cuves bois sans réel contrôle de température, élevages longs en vieux fûts. On se trouve là devant ce qui se faisait à Bordeaux il y a plus d’un siècle.
PCi. L’occasion de célébrer les liens historiques entre Bordeaux et la Rioja…
PC. Absolument ! Ce vignoble du nord de l’Espagne s’est développé à la fin du XIXe siècle pour pallier les ravages du phylloxéra à Bordeaux. Les principales bodegas historiques, dont La Rioja Alta, fondée en 1890, ont toutes été construites autour de la gare de Haro, pour faire remonter le vin vers le nord !
PCi. Jesuischarméparl’éléganceetlacomplexité de ce vin. Son grain est d’une grande finesse. J’ai toujours préféré l’équilibre délicat, acidulé du tempranillo de la Rioja aux expressions plus chaleureuses et massives de la Ribera del Duero. Et ce sont souvent les cuvées issues des bodegas les plus traditionnelles qui me touchent le plus. Ici, on est dans un registre presque bourguignon.
PC. Bien que capables de très bien vieillir, ces vins sont en général le fruit de cuvaisons fort courtes, car le tempranillo est un cépage qui devient vite raide, dur, acerbe. Il est systématiquement égrappé depuis longtemps.
PCi. Aucune raideur ni rusticité ici ! Et puis, ce 1978 est un excellent millésime. La cuvée existe toujours, avec une belle continuité dans l’expression stylistique. J’ai récemment goûté un très bon 2007. Entre 20 et 25 € pour un vin archéologique, c’est honnête…
PC. Beaucoup de riojas plus contemporains ont mis l’accent sur le tempranillo, souvent issu d’un seul vignoble. Ici, l’approvisionnement est diversifié ; l’achat de raisins est courant et l’encépagement plus composite : 60 % de tempranillo, mais aussi 25 % de grenache, du graciano, du mazuelo (carignan) et même du raisin blanc, le cépage viura (macabeu). Un audacieux patchwork !
PCi. Cette diversité est-elle la clé de la complexité du vin ? Je ne suis pas certain que les riojas contemporains que vous évoquez atteignent avec l’âge ce raffinement de texture et d’arômes.
PC. Qui vivra verra… Les vins modernes sont plus extraits, donc construits sur une structure plus rustique, et moins acides : leur équilibre est tout à fait différent. Attention cependant : le style “traditionnel” dans lequel l’équilibre est construit sur la finesse possède à mon avis ses limites. Les élevages longs en vieux bois américains peuvent aboutir à des vins secs et volatils. C’est pourquoi je préfère les Reservas aux Gran Reservas, souvent fatiguées par un élevage démesurément long.
PCi. Ce vin, pour moi, c’est beaucoup de plaisir. La saveur s’attarde, épicée, lactique, fondue et nuancée, avec un fruit qui, au final, ressort de l’épreuve du temps comme régénéré : une merveille à table, avec de simples côtelettes d’agneau grillées… Nous sommes plusieurs, à La RVF, à défendre l’esthétique des “vieux vins”, la complexité et la richesse du message des évolutions tertiaires. L’époque semble réfractaire à ces beautés patinées. Comment, cher Pierre, éveiller le goût des oenophiles ?
PC. Je leur recommanderais d’être curieux, de ne pas dédaigner les vieux flacons, de faire confianceàleurpropregoût…etdenepastrop écouter les jeunes sommeliers, qui n’ont plus la culturedesvieuxvinsetexpliquentquel’évolution tertiaire est un défaut !