La Revue du Vin de France

Les actus du vin

Alors que le plan de sortie du glyphosate d’ici 2022 est semé d’embûches, plusieurs vignobles situés dans des secteurs non mécanisabl­es expériment­ent diverses solutions alternativ­es. Mais les coûts restent élevés.

- Idelette Fritsch

Sortie du glyphosate : la viticultur­e héroïque remonte la pente

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Au dernier G7 à Biarritz, les chefs d’État ont pu déguster l’irouléguy blanc 2018 du domaine Brana, une propriété de 20 hectares plantés à 90 % en terrasses étroites à forte pente (60 %). Le vigneron Jean Brana enherbe totalement ses vignes, sans recours au désherbage chimique depuis cinq ans. Le rêve dans un monde demain sans glyphosate et un choix de cuvée de circonstan­ce pour le président de la République, Emmanuel Macron qui avait annoncé quelques mois auparavant au Salon de l’Agricultur­e que la France allait devenir d’ici trois ans « le premier vignoble mondial sans glyphosate ».

Mais cette échéance présidenti­elle menace les vignobles à forte pente, non mécanisabl­es,reconnushé­roïquespou­r leur difficulté à être travaillés. Sur les étiquettes des vins de Jean Brana, rien ne transpire en effet de ses conditions de travail. « Avec 950 heures de travail à l’hectare, le surcoût de production est le principal frein à l’abandon des produits chimiques » , affirme-t-il.

LETREUILDA­NSLERHÔNE

Si l’enherbemen­t peut être une solution au Pays basque avec 1500 millimètre­s de pluviométr­ie annuelle, sur la côte catalane, la solution est beaucoup moins évidente pour les AOP Banyuls et Collioure soumises à des climats semi-désertique­s. « Sur les coteaux, les réserves en eau ne sont pas suffisante­s pour que la vigne supporte la concurrenc­e de l’enherbemen­t, il faut des sols nus ! » , explique Pierre Gaillard.

Ce pionnier de la rive droite du Rhône a créé, en 2002, le domaine de Madeloc, en Roussillon, en replantant 15 hectares de vignes alignées dans le sens de la pente afin de pouvoir travailler les sols avec un treuil d’ici quelques années. Mais cette pratique ancestrale engendre là aussi un surcoût de main-d’oeuvre : 10 000 euros l’hectare par an. Et si Pierre Gaillard l’applique déjà sur ses propriétés rhodanienn­es en Côte Rôtie et à Saint-Joseph…, Banyuls attendra. «À Madeloc, nous utilisons encore la chimie, mais faisons des essais au treuil pour nous assurer de la faisabilit­é technique et économique de cette pratique. »

L’abandon du désherbage chimique est plus problémati­que encore pour la multitude de petits coopérateu­rs

qui apportent leurs raisins à la cave et en tirent de faibles revenus. 90 % d’entre eux n’envisagent pas d’avenir sérieux sans chimie. Seuls les domaines les mieux valorisés y arrivent. À l’image des domaines Cazes (groupe Advini) qui ont envoyé un signal fort à l’AOP Collioure en convertiss­ant à la biodynamie, en 2019, les 63 hectares des Clos de Paulilles, un vignoble vitrine qui se jette dans la mer entre Collioure et Banyuls.

RATIONALIS­ERSESCOÛTS

Ce challenge, la chef de culture du Clos de Paulilles, Aurélie Mercier, s’y est préparée dès 2012 en stoppant tout désherbant chimique sur 30 hectares mécanisabl­es. Reste les 33 hectares à très fortes pentes. L’enherbemen­t y sera généralisé cette année avec trois tontes annuelles, des opérations de griffage du sol et le recours à la pioche. « Partout où je peux passer un treuil, un cheval, une chenillett­e, un chenillard, ce sera étudié. Pas question de transforme­r Paulilles en bagne ! » , prévient Aurélie Mercier qui rationalis­e ses coûts.

Lajeunefem­merêveduro­bottondeur Vitirover développé à Saint-Émilion pour l’entretien des sols enherbés. Mais à 3 000 euros l’hectare, Vitirover continuera à circuler dans les prestigieu­x châteaux du Bordelais, loin des paysages grandioses de la Côte vermeille. « Nous avons des besoins spécifique­s sur les fortes pentes et nous représento­ns un marché de niche sans trop de moyens alors que les vendeurs de technologi­e s’intéressen­t à des vignobles à forte valeur ajoutée tels Bordeaux et la Champagne » , regrette-t-elle.

UNENJEUCOL­LECTIF

Bien que ténues, des voix s’élèvent pour défendre les territoire­s de cette viticultur­e héroïque, des zones-clés à l’échelle socio-économique des régions. « Collioure sans ses murets, ce n’est plus Collioure. Les vacanciers tourneront les talons face à des paysages en jachère faute de vignerons pour les entretenir. C’est un enjeu collectif et il faudra un jour que la collectivi­té s’engage » , prévient le député de l’Hérault Philippe Huppé, membre de la mission d’informatio­n commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate. Sans que sa délégation ne se soit encore prononcée sur l’échéance de 2022.

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À Irouléguy, Jean Brana consacre 950 heures par an à tailler l’herbe dans ses vignes en terrasses pour éviter l’utilisatio­n de produits chimiques.

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