Barcelone et le vin
En cinq ans, Barcelone s’est amourachée du vin. Cuvées “nature” et champagnes abordables enflamment les comptoirs des bars, des bistrots et des cavistes.
Bars à vins, cavistes… nos bonnes adresses de la capitale catalane Par
Malgré sa gaieté de façade, sa “joyeuse vulgarité”, la deuxième ville d’Espagne a longtemps eu le vin mauvais. Jusqu’à l’aube des années 2010, les prescripteurs locaux, sommeliers, journalistes, lui préféraient le gin tonic ou les grosses bulles du mousseux local (sauf exceptions), mieux assortis aux stupéfiants excès dont la “cité des prodiges” s’est fait une spécialité internationale. Sans parler de la bière, boisson fétiche des moins de 50 ans avec le CocaCola, (dé)formateur de tant de palais ibères.
À la décharge des Catalans, reconnaissons que les vins locaux, copieusement “parkérisés”, s’inspiraient justement de la finesse, de la distinction du fameux soda américain. Et pour arranger le tout, le système de distribution verrouillé par des monopoles imposait partout les mêmes références de vins espagnols. Si bien que les pijos, ces héritiers snobs des grandes familles bourgeoises qui ont grandi dans des écoles privées d’inspiration britannique, sont passés sans transition des riojas et riberas de la cave de papa de l’époque franquiste aux cuvées mondialisées dont on leur vantait les qualités dans les cours de savoir-vivre anglo-saxon.
Bref, celui qui ne connaissait pas l’adresse des vieux asadores (restaurants de viande à la braise) où les Viña Real des années 60, ces fantastiques riojas qui rappellent Rayas, se bradaient à 25 euros, s’ennuyait ferme. Et puis, au milieu des années 2010, tout s’est accéléré, avec comme protagoniste, la mouvance naturiste emmenée par les précurseurs de L’Ànima del Vi, estaminet catalano-parisien du très touristique quartier du Born. Barcelone en fait toujours un peu trop – c’est aussi pour ça qu’on l’aime –, et ses marchands de vin, portés par l’énergie des nouveaux convertis, n’ont pas manqué d’en rajouter dans l’adhésion bruyante, barbue et tatouée. Toujours est-il que pour une partie de la jeunesse branchée, il est devenu chic de remplir son verre de jus de raisin plus ou moins bien fermenté.
En témoignent les nombreux bistrots ouverts depuis cinq ans, dans lesquels on arpente le vignoble avec plus de décontraction, comme au Bar Salvatge, dans le quartier boboidentitaire de Gràcia, où jurançon et penedès sont servis à la tireuse. Même si d’un point de vue statistique, la consommation espagnole de vin reste faible (24 litres par habitant par an), le regain d’intérêt est indéniable, d’autant qu’en plus des crus nationaux, l’offre internationale est plutôt large : de nombreuses appellations françaises côtoient des rieslings allemands (très à la mode au début du siècle) et des importations américaines.
Dernier point, le prix des bouteilles au restaurant est souvent très bas, parfois équivalent au tarif caviste. L’occasion bien sûr de découvrir la jeune viticulture espagnole, de la Rioja à la Galice en passant par les sierras de Madrid et les nouvelles expériences menées en Andalousie. Mais n’ayez pas honte de boire autre chose que du local ; à Barcelone, il n’est pas rare de trouver de beaux flacons français, des champagnes notamment, à la moitié, voire au tiers des prix pratiqués dans la restauration française. Il serait ballot de ne pas en profiter…
Les marchands de vins de Barcelone ont l’énergie des nouveaux convertis