C’est comme ça
Henri IV était mort depuis six ans, en 1616, lorsque LouisXIII,roideFranceetdeNavarre,aproclamé l’union du Béarn au Très Chrétien Royaume, qui n’a été effective qu’en octobre 1620, « avec réserve expresse de leurs droits, franchises et immunités internes qui seront inviolablement gardés et observés » , comme on disait dans l’ancienne France hérissée de libertés. Jusqu’à la Révolution, le Béarn a conservé son statut d’autonomie et Pau un parlement dont les actes étaient rédigés en béarnais. Nous en parlions l’autre jour avec Yves Camdeborde, au Comptoir du Relais, place de l’Odéon à Paris. Le chef béarnais recevait un hôte insigne en la personne de Jean de France, comte de Paris.
Pour traiter le prince, il avait fait mettre en glace une bouteille de Drappier, le champagne favori du général de Gaulle, dont les échanges des années 1953-1970 avec le précédent comte de Paris, le grand-père de Jean de France, demeurent enveloppés de mystère. Et préparé une poule au pot servie en quatre services, en souvenir des grandes heuresdelaMaison-boucheduRoi,danslagalerieduBordde-l’Eau au Louvre qu’affectionnait Henti IV. À l’époque, on ne parlait pas de runners, pour qualifier les jeunes gens qui portaient les plats, mais de galopins. Beaucoup de monde s’agitait sous les ordres du premier maître d’hôtel : sauciers, souffleurs, hâteurs de rôts, tournebrochiers. Les coureurs de vin étaient chargés d’aller chercher le fruit de la vigne à la cave, le sommelier de le préparer et l’échanson de le servir après l’avoir goûté.
Nous aurions pu choisir un jurançon sec pour accompagner le bouillon de poule aux perles du Japon et les toasts de campagne masqués de farce aux abats nommés “rôtis”. Mais j’ai voulu faire découvrir au prince les jolis vins que produit Jean-Christophe Comor au domaine Les Terres PromisesdansleVar.Nousavonsdoncdégustélemillésime 2018 de la cuvée À Bouche que Veux-tu, issue de clairette et de rolle, en essayant de tirer un bilan du mouvement des Gilets jaunes, que le comte de Paris a pu observer de près à Dreux, où il vit avec sa femme Philomena, le dauphin Gaston, âgé de 10 ans, et leurs quatre autres enfants. Héritier en ligne directe d’Henri IV, gardien d’un principe d’arbitrage capable de faire valoir la continuité des projets de la patrie au milieu des combinaisons, le prince parle de la France avec une sagesse toute capétienne.
Il a pour vocation de servir. Les circonstances lui permettront peut-être de proposer aux Français un avenir nouveau, conforme au réveil de leur sensibilité traditionnelle et de leur redécouverte de la durée historique. La dégustation du millésime 2017 de la cuvée L’Antidote, un 100 % carignan qui a établi la réputation de Jean-Christophe Comor, nous a invités à le croire. Avec les légumes roulés dans la moelle et la poule au pot servie en tranches, façon lièvre à la royale, l’accord était parfait. C’est comme ça, et pasautrement,qu’undernierverrenousfitrêveraudestin d’un jeune garçon français destiné à monter un jour sur le trône de la maison héréditaire sous le nom de Gaston Ier.
« Nous avons dégusté le millésime 2018 de la cuvée À Bouche que Veux-tu en essayant de tirer un bilan du mouvementdes Gilets jaunes »
Par Sébastien Lapaque Écrivain, chroniqueur littéraire et solide buveur