La Revue du Vin de France

L’histoire d’une transmissi­on

Pierre Overnoy et Emmanuel Houillon

- Par Karine Valentin, photos : Marie-Ève Brouet

Àla vigne en train de trier les baies de la vendange, d’égrapper à la main sur le rebond d’une claie en bois ou à prendre une décision dans l’échange avec son fils et sa belle-fille, Pierre Overnoy a dans le regard la lueur apaisée du vigneron qui a transmis. Lui qui n’a jamais eu d’enfant s’ est trouvé un fils: Emmanuel Houillon, son ouvrier. En l’adoptant officielle­ment devant un juge le 21 juin 2012,

Pierre a fait d’Emmanuel, ce gamin embauché un jour de septembre, son successeur.

« C’est venu doucement. Un jour, Pierre m’a dit : “Il faut que je t’adopte” » , se souvient Emmanuel. Aujourd’hui, lorsque “Manu” prononce Pierre, le i disparaît et l’on entend « père » .

UNESAGESSE­SIMPLE

« Comme on a deux oreilles et une bouche, on doit écouter deux fois plus que parler » , aime à dire Pierre Overnoy. Cette écoute de la nature et des hommes, cette façon de s’arrêter de parler lorsqu’on lui coupe la parole, cette sagesse simple sont le socle sur lequel il a construit son désir de vin au plus proche de ce qu’il doit être, un don généreux de soi.

Ses cinq frères et soeurs, qui ne sont pas devenus paysans, ont été tout aussi généreuxav­eclui.Dudomainep­aternelenp­olyculture lui échoient 25 ares de ploussard, 25 autres de savagnin et quelques bêtes. C’était en 1968, une année marquée par les conflits sociaux et les vins naturels. La “chienlit” à la ville, les pissenlits dans les vignes où quelques vignerons restent sourds aux sirènes de la chimie pour préserver leur santé, celle de leurs clients et l’authentici­té de leurs vins. Overnoy en est.

« Avant l’arrivée de la chimie, tout le monde était en bio. Les premiers désherbant­s sont arrivés dans le Jura au domaine de la Pinte vers 1964. Les laboratoir­es nous promettaie­nt qu’on ne s’embêterait plus avec le matériel qui casse et les travaux pénibles. Cela m’intriguait, tout le monde en parlait. Certains produits interdits en Suisse étaient autorisés en France, on s’en moquait. Le Français était sans doute plus résistant que le Suisse… Mais les clients venaient chez nous parce qu’on ne désherbait pas » , raconte le vigneron.

« Un jour, Pierre m’a dit : “Il faut que je t’adopte” »

UN FILS DANS LES VIGNE S

Pierre, son frère Maurice et leur père Louis partageaie­nt la même cave, chacun ses fûts. « On m’avait appris durant un stage d’oenologie à Beaune qu’il fallait vinifier avec du soufre, j’en ai donc mis dans mes vins, poursuit Pierre. Or, je me suis rendu compte en sen tant les moûts de mon frère et de mon père que, chez eux, ça sentait bon. J’avais beau respirer le mien, rien ne montait. Eux n’avaient pas fait de stage… »

Repéré au début des années 80 par Jacques Néauport, agent parisien pionnier de la commercial­isation des vins“nature ”, puis référencé au restaurant d’Alain Chapel avec son ploussard millésime 1986, le jeune producteur de Pupillin, qui se réclame des travaux de Jules Chauvet, sort du cercle des vignerons convention­nels pour intégrer celui plus confidenti­el des insoumis de l’époque. Il deviendra, avec Marcel Lapierre en Beaujolais, la signature dont se réclament les vignerons “nature” d’aujourd’hui. Overnoy n’a pas qu’un seul héritier.

Lorsque Manu débarque avec la vigueur de son adolescenc­e, Overnoy n’utilise plus de soufre depuis longtemps. Tout com

mence à la vendange 1989. Emmanuel Houillon se présente au domaine suite à la demande d’un ami de son père, client d’Overnoy, pour aider à la récolte. Il revient l’année d’après, convaincu qu’il veut devenir vigneron… Il avait 15 ans, l’école n’était pas son fort et les pratiques un peu rebelles du producteur lui ouvrent des perspectiv­es. À cette époque, Pierre est seul à la vigne, Emmanuel entre en apprentiss­age, vient habiter chez lui et suit une formation en alternance jusqu’au bac pro avant de devenir ouvrier au domaine en 1996. « Manu a vite été dans le coup, même sans être né dans la vigne » , relève Pierre Overnoy.

EN DOUCEUR DEPUIS TRENTE ANS

Lorsque Pierre part à la retraite, en 2001, Emmanuel rachète une partie des stocks et le foncier. Il passe de 2,5 à 6,5 hectares de chardonnay, savagnin et ploussard, dont une majorité de massales, qui, n’ayant jamais vu d’intrants, s’en sortent pas mal grâce à une population de levures saines et travailleu­ses.

Afin de loger le surplus de récolte, Emmanuel et Anne, sa femme, rachètent la maison Bouilleret, celle de la soeur de Pierre Overnoy. Elle devient le siège de la famille Houillon, elle est aussi pourvue de caves qui viennent compléter celle de la maison de Pierre. Sur un mur, elle conserve sa fameuse plaque gravée des trois noms “Pierre Overnoy, Emmanuel et Anne Hou ill on” et, juste en dessous, de la mention

“Vins produits sans désherbant chimique”, pour ceux qui auraient manqué une étape !

Emmanuel Houillon, lui, n’en a manqué aucune. Dès le départ, il est converti :

« Lorsqu’à 15 ans, on découvre la viticultur­e de Pierre et le vin “nature”, il n’est pas envisageab­le de faire autrement. Si je n’avais pas pu faire un vin comme ça, je serais parti à l’usine » . Aujourd’ hui, Ma nu a 45 ans .« Tout a été fait en douceur durant trente ans. Au fur et à mesure que je prenais des responsabi­lités, Pierre en lâchait » , raconte-t-il. Il va même plus loin, à commencer par la certificat­ion en biodynamie.

« Je voulais une relation plus personnell­e avec la vigne. La biodynamie procède d’un travail sur soi relié au vin » , insiste-t-il.

UNE OEUVRE PARTAGÉ E

De toute façon, cela ne change pas grandchose aux pratiques, l’agrobiolog­ie est au coeur du système Overnoy-Houillon dans un échange toujours aussi productif. Il le fut sur le sujet du chardonnay. « Sur le ploussard, on était déjà pas mal au point, mais il restait le chardonnay sur lequel nous avions un travail à faire pour qu’il devienne bon plus vite,

explique Pierre Overnoy. Manu a une bonne approche sur le sujet. Évidemment, nous menons nos réflexions en commun », souligne Pierre Overnoy. Ils réfléchiss­ent donc de concert, achètent un pressoir pneumatiqu­e, le surélèvent pour supprimer la pompe, puis investisse­nt dans un oeuf en béton. Depuis le chardonnay rayonne. Le 2015, par exemple, se montre jubilatoir­e de tension et de lumière, cristallin comme de l’eau de roche, mais profond comme les marnes de son sol.

Le lien qui unit les deux hommes tient autant de l’affection que du soin apporté à une oeuvre partagée sur ce vignoble de Pupillin, capitale du ploussard. Chez les Overnoy-Houillon,onditplous­sard,moins chic que poulsard, mais tellement plus jurassien.

Propos consignés dans l’ouvrage La parole de Pierre, aux éditions Mêta Jura, 2011.

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Emmanuel Houillon est arrivé à 15 ans au domaine, un peu par hasard. Il n’en est jamais reparti.
 ??  ?? Dès le début, Pierre Overnoy a considéré son jeune ouvrier comme son propre fils.
Dès le début, Pierre Overnoy a considéré son jeune ouvrier comme son propre fils.
 ??  ?? Fruit de leur réflexion, l’utilisatio­n d’un oeuf béton fait rayonner leur chardonnay.
Fruit de leur réflexion, l’utilisatio­n d’un oeuf béton fait rayonner leur chardonnay.

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