Les 100 bouteilles mythiques
Château Haut-Brion 1989
L’année 1989, exceptionnelle notamment dans le Bordelais, était favorable à l’élaboration de grands vins. Des conditions climatiques hors normes et une précocité de vendanges record pour le siècle dernier ont donné des vins d’une superbe concentration, aux tanins de velours.
Le millésime, notamment grâce à un été caniculaire, est certes très chaleureux et les vins présentent une belle richesse alcoolique, mais avec néanmoins une acidité suffisante pour apporter un équilibre souverain aux jus des meilleurs terroirs. Longtemps considéré comme légèrement inférieur à 1990, 1989 est d’ailleurs pour beaucoup d’amateurs en train de dépasser, lentement mais sûrement, depuis quelques années son glorieux cadet en conservant davantage de fraîcheur au vieillissement.
PRÈS DE 43 MILLÉSIMES À SON ACTIF
Parmi toutes les grandes réussites de ce millésime, un vin parvient toutefois à se détacher : Château Haut-Brion. Si je n’avais jusqu’alors jamais eu la chance de goûter ce vin, j’en avais déjà beaucoup entendu parler. C’est en effet un cru qui revient régulièrement dans les conversations entre passionnés sur les plus grands vins jamais produits, régulièrement cité au milieu de confrères mythiques tels que Cheval Blanc 1947, Mouton Rostschild 1945, Pétr us 1990, La Chapelle deJa boulet 1961 ou encore La Tâche 1962.
Mais ce vin, c’est avant tout l’un des sommets atteints par le regretté JeanBernard Delmas, décédé il y a peu, qui a régné sur l’élaboration de Haut-Brion pendant près de 43 millésimes (de 1961 à 2003). Disparu le 3 octobre 2019 à l’âge de 83 ans, Jean-Bernard Delmas était devenu une figure emblématique de la propriété, après avoir succédé à son père Georges Delmas, régisseur de HautBrion depuis 1923, et avoir passé le relais à son fils Jean-Philippe en 2004.
Le samedi 30 novembre 2019, je reçois des amis à dîner, parmi lesquels le golfeur et passionné de vin Grégory Bourdy. Pourquoi prends-je le soin de préciser la date exacte ?
Parce qu’il s’agit de la date d’anniversaire de Jean-Bernard Delmas et qu’en cet honneur, un des convives a apporté un Château Haut-Brion 1989. Une occasion m’était donc donnée de goûter ce vin exceptionnel qui obtint plusieurs fois la note parfaite, notamment par Robert Parker qui déclarait à son sujet : « C’est l’un des plus grands Haut-Brion jamais réalisés par le domaine. Vous devriez boire autant de fois que possible ce vin, la vie est trop courte ! » .
FIGÉ DANS L’ EXCELLENCE
Le nez est majestueux de concentration et de fraîcheur, avec des arômes de cèdre, de terre d’orage, de cassis, de réglisse, de graphite et de poivre de Sichuan. On sent immédiatement l’aura des plus grands, et l’on devine que le vin ne “bougera” plus à l’aération, comme figé dans l’excellence. En bouche, l’attaque est opulente et les notes fumées si caractéristiques du cru explosent, entrelacées de camphre, de liqueur de framboise et de sirop de cassis, le tout porté par des tanins d’une pureté exceptionnelle et une acidité parfaite qui prolonge la finale à l’infini. Tout le monde veut prendre la parole pour donner ses impressions, mais se ravise finalement en constatant que le vin est encore en train de s’exprimer et d’évoluer quelques minutes après l’avoir bu. La perfection ? Je n’oserai jamais dire cela. Mais je ne peux m’empêcher de raconter une anecdote édifiante à mes convives au sujet de ce vin. La scène se passe àHongKong pendant l’ autom ne2018.Pe te rLam, puissant milliardaire, à l’époque président de l’Office de tourisme de Hong Kong, me reçoit dans ses bureaux, au sommet de l’un de ses gratte-ciels, avec vue imprenable sur la baie. Reconnu comme l’un des plus grands collectionneurs de vin au monde, Peter Lam possède plusieurs centaines de milliers de grandes bouteilles réparties dans ses nombreuses caves. Parmi tous ces grands crus, il décide d’ouvrir à cette occasion son vin préféré : Château Haut-Brion 1989. Pour quelle raison ? C’est tout simplement, selon lui, le vin qui se rapproche le plus de la perfection.