Pierre Desproges l’avait tant aimé
CHÂTEAU FIGEAC 1971
Goûté en compagnie de la famille Manoncourt, propriétaire du domaine, et de Frédéric Faye, son directeur, lors d’un déjeuner au château, ce vin brillait de mille feux. Pourtant, les millésimes servis à ses côtés étaient des plus relevés : 2001, 1998, 1990, 1989, 1982, 1966, 1961, 1959, 1949… Moins coté, 1971 fut pour moi le point culminant de cette farandole de vins merveilleux qui illustraient tous la spécificité de Figeac, certes construit sur les cabernets, comme les vins du Médoc, mais d’une distinction d’arômes et de texture qui lui sont propres. Si la robe a bruni, le bouquet est sublime, palpitant, musqué et “féminin”, une indéfinissable “odor di femina”… Malgré la profondeur du nez, la richesse de la bouche est inattendue, avec un fruit suave, presque sucré, qui conserve cependant une extrême délicatesse jusqu’à la flamboyante finale.
Ce vin extraordinaire parvient à mettre sous l’éteignoir le sublime 1982 qui le précédait. Que possède-t-il de plus que les autres ? C’est le millésime de Pierre Desproges ! « J’avais commandé un Figeac 1971, mon saint-émilion préféré. Introuvable. Sublime. Rouge et doré comme peu de couchers de soleil. Profond comme un la mineur de contrebasse. Éclatant en orgasme au soleil. Plus long en bouche qu’un final de Verdi. Un vin si grand que Dieu existe à sa seule vue. » Difficile d’imaginer plus somptueuse description ; inclinons-nous ! Elle est tirée de L’Aquaphile, saynète des Chroniques de la haine ordinaire où le narrateurdéjeuneavecunecommensalepossédant toutes les qualités jusqu’au moment où elle versa de l’eau dans le divin breuvage. « Je ne l’ai plus jamais aimée. » Je pensais alors à la mère de Thierry Manoncourt, qui pouvait reconnaître chacun des millésimes de son cru, à condition de les couper d’eau. C’est du moins ce qu’on m’a raconté… Je pensais aussi que l’assiette que j’avais devant moi – un énorme pâtisson (du potager de Figeac) généreusement farci de chair à saucisse, sorte de soucoupe volante vert tendre, mamelonnée, gratinée, posée sur un lit de coulis de tomate – s’associait au 1971 dans une joyeuse incongruité, visuelle et gustative, qui n’aurait peutêtre pas déplu à l’écrivain. P. Ci