Les actus du vin
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Comment le magasin Lavinia, emblématique caviste du boulevard de la Madeleine, à Paris, a-t-il pu aussi brutalement fermer ses portes le 9 janvier ? Vingt ans après l’ouverture de cette vitrine, le monde du vin reste pantois, d’autant que 19 des 40 salariés du magasin ont été licenciés.
Les grèves de décembre 2019, les gilets jaunes puis le Covid-19 ont fait du mal, c’est certain. Les étrangers friands de flacons iconiques ont déserté la capitale. Et le loyer de la Madeleine, plus de 1,2 million d’euros par an, était trop lourd pour le groupe, qui compte trois autres magasins en Espagne et en Suisse.
Mais la conjoncture n’explique pas tout. « La filiale française n’a jamais atteint la rentabilité depuis sa création », a assuré Charlotte Servant, fille du fondateur et présidente depuis quatre ans. Ce n’est pas tout à fait vrai. Fondée en 1999 par Thierry Servant, ex-patron de L’Oréal Espagne, Lavinia France dégageait des bénéfices au milieu des années 2010 : 815 000 euros de résultat net en 2013, 645 000 euros en 2014. Au sommet de sa forme, Lavinia employait 150 personnes pour un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros, dont 17 millions pour le seul magasin de la Madeleine.
Sous la direction de Yannick Branchereau, fils de vigneron angevin formé à la vente chez Castorama, l’enseigne avait développé une culture de la diversification permanente. Ouverture d’un restaurant où l’on pouvait boire n’importe quelle bouteille du magasin sans droit de bouchon (jusqu’à 2 millions d’euros de chiffre d’affaires par an), développement d’un rayon spiritueux très rentable, distribution de vins auprès des restaurants via la filiale Vins du Monde, cadeaux d’entreprises, box, ventes en ligne, livraisons à domicile, ouverture de magasins à Madrid, Barcelone et en Suisse, de franchises à Kiev et Odessa, filiales à Hong Kong, magasin à La Défense, rachat des Caves Augé… l’enseigne innovait chaque année, avec un certain bonheur.
Le magasin de la Madeleine fut surtout un lieu de célébration du vin, avec des dégustations mythiques. Voilà ce qui reste aujourd’hui dans les mémoires. Match Romanée-Conti 1999 contre Romanée-Conti 2005, grands bordeaux 2005 en primeur, têtes de cuvées de Champagne, sakés, soirées avec les lecteurs du Figaro, de Challenges, de Marie Claire, Lavinia faisait tourner les têtes. Alain Vauthier, Pierre Lurton, Cécile Tremblay, Jean-Pierre Amoreau, Bruno Borie, le gotha du vin se pressait aux 10 ans de l’enseigne. En 2012, Thierry Servant et Yannick Branchereau, très complices, avaient été élus cavistes de l’année par La RVF.
Hélas, le 28 décembre 2016, en Suisse, Thierry Servant chute lors d’une ballade en montagne et se tue, à 64 ans. Sa ●● ●
●● ● fille Charlotte, héritière de 31 ans, diplômée d’histoire et de droit public, reprend les rênes du groupe avec son mari Matthieu Le Priol, un ancien des sondages (TNS, Harris) et du marketing chez Nestlé Skin Health. Deux parcours éloignés du vin dans un contexte difficile : les relations de Charlotte et de son père étaient notablement distendues.
Dix-huit mois plus tard, Charlotte écarte Yannick Branchereau, remplacé par son mari à la direction générale. Quelques mois plus tôt, le groupe avait dû se séparer de l’acheteur vin de l’enseigne, grand pourvoyeur de marge, également aux commandes des Caves Augé, condamné pour harcèlement et agression sexuelle. Dès lors, les mauvaises nouvelles s’enchaînent. Le chiffre d’affaires de Lavinia chute de près de 30 % l’année suivante.
En avril dernier, Lavinia cède sa filiale Vins du Monde et ses allocations (Vega Sicilia, Harlan Estate, Pingus…). C’en est fini de la distribution de vins fins vers les restaurants alors que les ventes en ligne n’ont jamais pris le relais. Charlotte Servant et son mari renoncent à relooker le magasin de la Madeleine avec le très chic architecte Pierre Yovanovitch. Il faut bientôt fermer Lavinia La Défense, quartier sinistré par le télétravail. Et la page des belles dégustations est tournée.
UNE NOUVELLE BOUTIQUE ?
Et maintenant ? Charlotte Servant et Matthieu Le Priol ont dit vouloir ouvrir « une nouvelle boutique d’ici 12 à 18 mois ailleurs dans Paris » et « une boutique éphémère, le temps de finaliser le nouveau projet ». Où ? Sollicités, les deux jeunes gens n’ont donné aucune précision à La RVF. Ils entendent poursuivre la vente de vin sous la marque Lavinia, sur Internet. Pas évident alors que la vente de vin en ligne, soumise à la comparaison permanente des prix par les consommateurs, devient un métier très dur. Ceux qui s’en sortent le mieux sont les producteurs ou négociants qui revendent leurs propres vins sur leurs propres sites, cumulant la marge du producteur et celle du distributeur, comme par exemple la famille Moueix (Duclot), la famille Bernard (Millesima) ou la famille Castéja (La Grande Cave, 1jour1vin). Ce n’est pas le cas de Lavinia.