La France des clubs de dégustation
Partout, les Français se réunissent autour d’une passion commune, le vin
Tels des rivières, les clubs de dégustation irriguent notre beau pays. Ils rassemblent des membres venus d’horizons divers autour d’une passion commune et font découvrir l’histoire et la culture de nos régions. Il serait vain de tenter de les recenser : il n’existe pas de structure les chapeautant tous. Mais on peut dire sans se tromper qu’il en existe dans chaque département, dans la plupart des communes et villages, qu’ils abritent des vignobles ou non. Si certains sont devenus de véritables institutions comptant des centaines de membres avec des agendas millimétrés, d’autres ne réunissent que quelques ami(e)s quelques soirées dans l’année, autour de jolies bouteilles glanées par l’un ou l’autre.
C’est le cas de celui fondé par François Morinière, président du groupe Labruyère (domaine Jacques Prieur à Meursault, château Rouget à Pomerol…). « Je l’ai créé en 2007 avec quatre couples d’amis, nous sommes aujourd’hui douze membres », raconte fièrement l’élégant quinquagénaire. Chaque trimestre, un couple organise un dîner, à tour de rôle. Les hôtes concoctent le menu, les autres apportent les vins en fonction des plats. « C’est passionnant, au fil du temps, on voit les goûts des participants qui s’affirment, les capacités de dégustation qui s’affinent… », se félicite celui qui a aussi dirigé le groupe OEneo (élevage, bouchage…) et même le journal L’Équipe. Ici, pas d’état-major, de locaux, ni de cotisations, seulement un groupe d’amis réunis par la passion du vin et des bonnes choses. Si l’ambiance est bon enfant, elle n’est pas non plus sans saveur. « Comme je travaille dans le vin, je me sens obligé d’apporter à chaque fois de belles bouteilles, sourit François Morinière. J’ai un peu la pression. »
DE PRESTIGIEUX INTERVENANTS
La plupart des clubs n’ont pas de locaux attitrés et se réunissent chez leurs membres, mais dès qu’ils deviennent plus importants, ils se doivent de trouver un lieu d’accueil. Par exemple, les membres de Vignyfica se réunissent dans le centre de loisirs Alfred-de-Vigny de Voisins-le-Bretonneux, dans les Yvelines, où l’on trouve d’autres activités, comme le rempaillage de
chaises, le tarot ou l’apprentissage du piano. Les 170 membres du club Vins et Découvertes se retrouvent six à neuf fois par an dans une salle de la maison Marie-Walewska de BoulogneBillancourt (Hauts-de-Seine) qui ressemble beaucoup à un château du Bordelais. Voilà qui est motivant. Ce club, codirigé par Claude Bénady, libraire de profession (Périples à Boulogne), existe depuis vingt-deux ans.
Sa marque de fabrique : recevoir des intervenants prestigieux venus porter la goûteuse parole de Bacchus. On y croise des membres du comité de dégustation de La Revue du vin de France, comme Alexis Goujard, Olivier Poels ou Caroline Furstoss, des sommeliers tels l’illustre Philippe Faure-Brac ou David Biraud, et même le neurobiologiste Gabriel Lépousez venu de l’Institut Pasteur, juste de l’autre côté de la Seine. Sans oublier de nombreux cadors du vignoble fiers de présenter leurs vins en personne, à l’instar des papes de la biodynamie Nicolas Joly ou Jean-Michel Deiss.
UNE HIÉRARCHIE DES CONNAISSANCES
« Certains vignerons, notamment à Bordeaux, ont négligé le marché intérieur, et donc les clubs d’oenologie, mais c’est en train de changer avec les difficultés de l’export, souligne Claude Bénady. Les autres, qui ont su cultiver ce jardin, s’en félicitent. » Les vignerons qui font l’effort de venir au-devant des amateurs repartent en effet le plus souvent avec des bons de commandes et, surtout, ils passent un bon moment. Certains clubs, comme Culture et Vins de France, basé à Saint-Germain-lès-Corbeil, et qui a récemment ouvert une antenne à Montreuil, en région parisienne,
organisent même chaque année – avant la crise sanitaire – des salons pour mettre en présence ceux qui font le vin et ceux qui le dégustent avec passion.
Dans plusieurs clubs, les débutants se mêlent aux amateurs confirmés. Dans d’autres, la hiérarchie est clairement
marquée. C’est le cas chez Vignyfica, où les 120 membres sont répartis selon trois niveaux de connaissances : débutants, initiés et experts. Ici, l’idée n’est pas seulement de déguster du vin, mais aussi et surtout de mieux le connaître. Des cours, dont le contenu est adapté à chaque niveau, sont donnés chaque mois. « Chez les “débutants”, on s’intéressera aux cépages, à la technique de vinification, à la géographie et à l’histoire, raconte le bien nommé Pascal Vigne. Avec les “initiés”, nous allons plus dans les détails des sols et des climats. Nous faisons découvrir des cépages plus rares. Et chez les “experts”, nous nous déplaçons à la rencontre des vignerons et nous pouvons intégrer le groupe compétition qui compte dix-huit membres. »
Certains clubs organisent des salons chaque année
BOÎTE À CHAMPIONS
Ce petit groupe de compétiteurs se réunit tous les mercredis pour s’entraîner. Quelques clubs sont même devenus de véritables pépinières à champions. « La plupart des champions de France et des champions du monde français de dégustation à l’aveugle ont débuté comme simples membres dans un club avant de se prendre au jeu, nous confirme Philippe de Cantenac, organisateur du Championnat du monde de dégustation à l’aveugle de La RVF. Des clubs comme Vignyfica en région parisienne, In Vino Veritas à Toulouse, Tire Bouchon Attitude et Osiris à Bordeaux, Amphores à Bourges ou Les Petits Raisins d’Angoulême obtiennent souvent de bons résultats. »
Le club Culture et Vins de France de Saint-Germain-lèsCorbeil abrite par exemple deux champions du monde en titre, les aiguilleurs du ciel Christophe Boyet et Emmanuel Olive. Celui de Montreuil compte dans ses rangs un sacré compétiteur en la personne de Norbert Puzenat, professeur de physique aujourd’hui en retraite. Globe-trotteur patenté, passé par l’équipe d’Andorre et celle de Biélorussie, cet électron libre pourrait bien intégrer les rangs de l’équipe de France lors de la prochaine édition ! Quant au club Culture et Vins de Toulouse, il peut compter sur Didier Sanchez, champion du monde en 2014 avec un certain Pierre Citerne, qui a depuis intégré le comité de dégustation de La RVF !
DES VOYAGES RICHES EN DÉCOUVERTES
Qu’ils soient amateurs ou champions, les membres des clubs de dégustation chérissent une activité plus que toutes les autres : les voyages dans le vignoble. Ils s’y rendent une à deux fois par an en moyenne, l’occasion de constater par soi-même la façon dont sont réalisés les vins découverts au cours de l’année, en France ou à l’étranger (Italie, Espagne, Portugal…). Ces déplacements donnent parfois lieu à des scènes cocasses. « Lors de la première visite chez Overnoy, dans le Jura, le vigneron avait refusé de recevoir trente personnes car
il n’avait pas assez de place, se souvient Claude Bénady (Vins et Découvertes, à Boulogne-Billancourt). Mais Dominique Orecchioni, l’organisatrice du voyage, est revenue à la charge et, devant sa motivation, Emmanuel Houillon a fini par céder. Il a fait de la place parmi ses pots de confitures et les nombreux crucifix disposés dans la pièce car il est très croyant. Et il a pu nous accueillir par groupes de quinze. »
Mieux, les membres des clubs ont souvent leurs entrées chez des vignerons inaccessibles au commun des mortels et peuvent parfois leur acheter de précieux flacons ! « Nous allons une fois par an visiter Emmanuel Reynaud dans le Rhône, révèle ainsi Norbert Puzenat (Culture et Vins de France de Montreuil). À chaque fois, il nous vend des bouteilles de Rayas ou de Domaine des Tours, car il sait qu’on les boit et qu’on ne va pas les revendre. »
UNE PASSION PEU ONÉREUSE
Bien sûr, la dégustation de vin, les voyages dans le vignoble et les cours dispensés par des experts ont un coût. Dans certains clubs, comme celui de François Morinière, il n’y a pas de cotisation à proprement parler, chacun apportant les bouteilles qu’il souhaite. Mais la plupart du temps, il faut payer une cotisation à l’année, et ce sont parfois les dirigeants du club qui choisissent les bouteilles qui seront dégustées en séance. « Au
club Culture et vins de France de Montreuil, la facture est de 160 euros pour dix séances par an, où l’on goûte entre dix et douze vins », rapporte Norbert Puzenat. Chez Vignyfica, elle est de 300 euros pour huit séances par an pour les Vicinois (les habitants de Voisinsle-Bretonneux) et de 350 euros pour les autres. Et chez Vins et Découvertes, il faut compter 630 euros pour neuf séances auxquelles s’ajoutent un cocktail de début de cycle et un dîner de fin d’année. Les frais de déplacement dans le vignoble sont en sus, naturellement. Mais au final, ce n’est pas cher payé ces moments de bonheur partagés.
Les étudiants des grandes écoles s’affrontent lors de compétitions acharnées
LE BOOM DES CLUBS ÉTUDIANTS
D’autres clubs de dégustation se distinguent : ils se réunissent dans des endroits insolites. Ainsi, la plupart des écoles (de commerce, d’ingénieurs et même la prestigieuse Normale Sup’ !) possèdent le leur. On peut même parler de véritable boom depuis les années 2000 et surtout 2010. « La vie associative est très importante dans les écoles de commerce, presque davantage que les cours. On y apprend à gérer un budget, à organiser des événements et on s’y constitue un réseau. Cela donne aussi une identité aux étudiants qui suivront ces associations tout au long de leur scolarité », analyse Robin Lenfant, un ancien de l’EM Lyon qui vient d’ouvrir la Cave Pigalle dans le IXe arrondissement de Paris.
Ayant poussé un peu par hasard la porte du club de dégustation de l’EM, judicieusement baptisé Sup’ de Coteaux, le jeune homme a découvert qu’il existait aussi des concours de dégustation à l’aveugle réservés aux étudiants. La Left Bank Bordeaux Cup, le concours Pol Roger, la coupe Ès-SENS Ferrières… Robin Lenfant tente une première fois le coup en 2014, sans succès. Il décide alors de s’entraîner et, en 2016, réalise un retentissant grand chelem en remportant tous les concours français en équipe ou en solo. Les clubs des écoles françaises ne sont cependant pas toujours en mode compétition, en tout cas moins qu’Outre-Manche où le match de dégustation à l’aveugle Oxford versus Cambridge est une institution dont la dramaturgie n’est pas sans rappeler The Boat Race, la célèbre course d’aviron qui oppose chaque année les deux universités.
MÊME LES LIONS S’Y SONT MIS !
Encore plus insolite, on trouve des clubs de dégustation dans les Lions Clubs. Ces clubs de soutien aux bonnes oeuvres sont présents dans tout le pays (au même titre que le Rotary ou le Savour), mais ce n’est que récemment qu’a été créé le premier Club Passion, consacré au vin. Ses membres se retrouvent soit à Paris, soit à Seyssel (Haute-Savoie). Après un an d’existence, il réunit une quarantaine de passionnés et affiche ses ambitions.