Vu d’ailleurs
« La volonté de démystifier le caractère exclusif du vin et de le réintégrer dans la complexité du monde est cruciale » Par Pascaline Lepeltier Sommelière-associée du bistrot-gastro Racines NY à New York. Meilleur ouvrier de France (MOF).
Le mouvement des vins naturels, qu’on le veuille ou non, fait souffler un vent de contre-culture puissant sur la planète vin. Cela s’est bien évidemment ressenti dans les vignes, les caves et les flacons, mais aussi dans tout l’écosystème : des étiquettes punk-rock ou street-art aux salons underground aux circuits de ventes alternatifs, de nouvelles lois du genre s’affichent comme contrepoints de l’institutionnalisation du vin.
De ce bouillonnement est née une génération de publication réjouissante : les “indie mags” et “winezines” qui se sont multipliés comme autant de perspectives critiques avec leur liberté de ton provocante. Pour se démarquer de l’indistinction des voix d’Internet, des passionnés se sont retournés vers l’objet papier, apportant une attention renouvelée au contenu et au contenant de l’imprimé. Résultat : des revues à l’esthétisme et aux textes pointus, engagées, impertinentes car autopubliées. Chez tous, la volonté de démystifier le caractère exclusif du vin et de le réintégrer dans la complexité du monde, fusse-t-elle gastronomique, artistique, environnementale ou politique, est cruciale. Les pays anglo-saxons sont notablement créatifs. Voici quelques titres que je lis avec intérêt.
L’excellent Noble Rot est la référence jubilatoire. Créé en 2013 par Dan Keeling, ancien directeur artistique musical, et Mark Andrew (MW) ce projet de “de-twattification” du vin financé initialement par Kickstarter en est à son vingt-quatrième numéro, tout en se déclinant aujourd’hui en un mini-empire effervescent (deux restaurants londoniens et un livre). Illustrations clin d’oeil à une iconographie éclectique, plumes expertes affûtées jouant de l’irrévérence, interviews décalées de célébrités de tout bord amoureuses de Bacchus et de vignerons cultes, dégustations inattendues, les pages recèlent du très lourd sans jamais perdre une légèreté ironique toute britannique.
Les “winezines” américains sont davantage portés par les Millennials et ont une tonalité plus activiste intensifiée par la crise sanitaire et ses inégalités sociétales : The Wine Zine de Katherine Clary et sa vingtaine de jeunes co-auteurs abordent le féminisme, les combats de classes, l’émigration au Liban ou en Floride, tout en cassant allègrement les codes des notes de dégustation et du service.
Dans la même veine, en mode plus “DIY” et revendicateur, on trouve Disgorgeous Zine, brainchild de John McCarroll et Kevin Diamond inspiré de leur podcast éponyme, et Wine Shots, le plus punk-rock, mêlant parodies et controverses.
Portraits et essais engagés sont la marque de fabrique de Pipette de Rachel Signer. La parole des vignerons connus ou non des quatre coins du monde est relayée par autant de nouvelles voix. Glou Glou Magazine s’inscrit aussi dans ce style. Enfin, en France, est apparu en 2019 Chassez le naturel, qui suit les pérégrinations de Pauline Dupin-Aymard sur les chemins de Navarre et du monde parmi les artisans de la terre : intimiste et sensible, ce carnet de voyage très bien illustré réussit à vous emporter dans son sillage.
Dionysiaques, iconoclastes et cathartiques, ces voix questionnent à leur façon les fondements, le présent et le futur de la culture du vin. Lecture recommandée !