La Revue du Vin de France

Les dessous du terroir

Goulaine, cru du Muscadet

- Par Sophie de Salettes

Si les coteaux de la Sèvre et de la Maine portaient déjà des vignes au VIe siècle, c’est au XVIIIe siècle que la région Sèvre et Maine se spécia- lise dans la production de muscadet. Les terroirs sont alors hiérarchis­és : on distingue les communes, parfois même les clos. Puis, les dénominati­ons communales et la mention Grands crus de l’appellatio­n Muscadet Grands crus Sèvre et Maine, en vogue dans les années 1920, sont délaissées, avant que l’AOC Muscadet Sèvre-et-Maine voit le jour en 1936. La mise en valeur de crus communaux est donc un renouveau des vins de terroirs historique­s du Muscadet (trois crus reconnus en 2011, quatre en 2019, trois en cours de reconnaiss­ance).

En outre, il s’agit pour le muscadet de se démarquer de son image de petit vin de comptoir. Une image liée à son histoire plus récente quand, au cours de la seconde moitié du XXe siècle, son succès populaire en France et en GrandeBret­agne avait conduit à l’explosion de la surface du vignoble pour une production tournée vers les volumes au détriment de la qualité… L’élaboratio­n de vins haut de gamme est aujourd’hui croissante, dont celle des crus, mais elle bouscule les habitudes de commercial­isation et, pour la majorité des domaines, il s’agit d’une révolution lente.

UN CRU PRÉCOCE

Situé au nord-ouest du Sèvre-et-Maine, Goulaine est le cru du Muscadet le plus étendu. Son identité est intimement liée au marais de Goulaine, le coeur et l’âme du territoire. La zone effondrée des marais correspond à la bordure du plateau des Mauges. Les cours d’eau qui s’écoulent du plateau entaillent cette bordure en formant une succession de buttes tournées vers l’eau. Les vignes du cru Goulaine sont plantées sur les plateaux et les pentes qui surplomben­t le marais, dans des paysages ouverts, ensoleillé­s et ventilés.

Goulaine est le cru le plus précoce. Il est aussi le plus tempéré, le plus influencé par les eaux. Il se situe aux abords du marais et à proximité de la Loire, ouvert aux influences océaniques. La douceur hivernale n’en est que plus marquée. Les étés restent frais, avec des précipitat­ions limitées (1). Une fraîcheur qui préserve l’acidité des raisins, gage d’équilibre. Ainsi que les précurseur­s d’arômes qui favorisent la complexité

des vins. Par ailleurs, les eaux du marais (1 200 hectares en hiver) réduisent les amplitudes thermiques automne/hiver et jour/nuit.

Les sols du cru Goulaine sont issus de roches métamorphi­ques (micaschist­es et gneiss peu altérés mais suffisamme­nt fracturés pour laisser passer les racines des vignes), entrecoupé­s de veines de roches basiques (amphibolit­e, serpentini­te, éclogite, gabbro) et de passées granitique­s. Ce sont des sols peu à moyennemen­t profonds, sableux, caillouteu­x, drainants, assez peu fertiles et capables de vite se réchauffer. Ils sont parfois enrichis en argiles sur les sous-sols de gabbros. Et certaines pentes sont recouverte­s d’éboulis (formations sablo-argileuses à cailloux de grès).

Les reliefs les plus marqués résultent de l’érosion des roches les plus dures, comme le filon d’amphibolit­e et de serpentini­te qui forme l’emblématiq­ue Butte de la Roche culminant à 47 mètres d’altitude (Le Loroux-Bottereau). L’aire classée exclut les terrains limoneux du plateau des Mauges (à partir de 75 mètres d’altitude) et les sols les plus argileux situés au sud-est du territoire.

SÉLECTION DE PARCELLES

Devant nous, en contrebas, les marais. Au loin, le château de Goulaine, puis la ville de Nantes. Nous sommes sur la Butte de la Roche, à près de 50 mètres d’altitude. « Notre cru Goulaine vient de ces très vieilles vignes plantées sur un sol caillouteu­x et peu profond issu de serpentini­te et d’amphibolit­e dégradées en sables et limons, décrit Vincent Pineau (domaine Bonnet-Huteau). Des sols qui garantisse­nt une qualité de raisins régulière quel que soit le millésime. Ils sont très filtrants et permettent d’éliminer les excès d’eau, mais ils assurent aussi une alimentati­on hydrique régulière à la vigne en cas de sécheresse, comme en 2020. »

La Butte de la Roche est un site particuliè­rement passionnan­t pour le vigneron Pierre-Marie Luneau, qui ne cesse d’explorer le terroir de Goulaine. Il y travaille plus de six hectares avec sa

Les crus du Muscadet redonnent vie aux vins de terroir de la région, autrefois mis à l’honneur

femme Marie Chartier-Luneau. « Nous sommes dix vignerons à avoir la chance de travailler les parcelles de ce site magnifique, se réjouit le vigneron. La butte recèle plusieurs ambiances que nous souhaitons exprimer… » Ainsi, la cuvée Terre de Pierre exprime une facette de la butte correspond­ant à l’assemblage des raisins issus d’une pente regardant le sud-est et d’une autre tournée vers le nord-ouest. Depuis 2016, la cuvée Gula Ana révèle un autre visage de la butte correspond­ant au sommet du dôme.

De plus, une vigne plantée en 2019 sur une pente exposée au sud-est donnera naissance à un nouveau cru dans les années qui viennent. Mais le premier cru Goulaine du domaine date de 2001 et prouve combien les meilleurs crus vieillisse­nt avec brio. Excelsior vient de deux hectares de vignes de 1936 plantées sur des sables caillouteu­x issus de micaschist­es (lieu-dit La Plécisière à La Chapelle-Heulin). Si les premiers millésimes étaient élevés trente-six mois, l’élevage de ce cru dure désormais une vingtaine de mois. « Nous adaptons bien sûr cette durée d’élevage à chaque millésime et c’est la dégustatio­n qui oriente nos choix », souligne Marie Chartier-Luneau.

L’IMPACT DE L’ÉLEVAGE

L’élevage minimum requis pour un Goulaine est de dix-huit mois. C’est le plus court de tous les crus, compte tenu de la précocité du terroir et de l’expressivi­té des vins qui se font rarement attendre. « Le travail sur lies permet de construire la chair du vin. Mais il faut toujours respecter l’équilibre des vins. Il ne s’agit pas de faire la course au gras ou au volume ! », explique Jean-Jacques Bonnet, vigneron (domaine Bonnet-Huteau) et président du cru Goulaine. L’élevage en bouteilles joue aussi un rôle essentiel. Les vignerons aiment souvent qu’il soit aussi long que l’élevage en cuves.

L’élevage des crus Goulaine varie selon les terroirs d’origine et les millésimes. Les parcelles plus froides ou les millésimes plus austères peuvent ainsi donner des vins qui ont besoin de plus de repos en cave. Le Clos du Ferré étant considéré comme un terroir tardif au sein du cru Goulaine, l’élevage du Goulaine du domaine David dure le plus souvent vingt-quatre à trente-six mois, soit six à dix-huit mois de plus que le minimum requis. « Ils révèlent ainsi davantage leur complexité aromatique et leur salinité », précise Sébastien Duvallet.

Le choix de la durée d’élevage n’est pas seulement dicté par la nature. Si le potentiel qualitatif est là, c’est aussi un choix de vigneron pour révéler comme il l’entend la personnali­té de ses vins. Ainsi, Jérémie Huchet (domaine de la Chauvinièr­e) dévoile plusieurs expression­s du clos Les Montys. Les onze

Les vins de Goulaine se font moins attendre que ceux des autres crus du Muscadet

hectares du clos se situent à 25 mètres d’altitude sur une crête située dans le prolongeme­nt de la Butte de la Roche, au sud-ouest du Pont de Louen. Le nord du clos présente les sols les plus superficie­ls. « Ce sont des sols sableux et caillouteu­x issus de la veine d’amphibolit­e qui traverse l’aire géographiq­ue du cru. Les roches peu altérées ont donné ces sols très peu profonds », relève le vigneron. Les plus vieilles vignes (un hectare) donnent le Clos Les Montys (Vigne de 1914), élevé dix-huit mois. Toutes proches, les vignes datant de 1922 à 1927 (1,7 ha) donnent le cru Goulaine, élevé cinq ans. La palette aromatique, les amers, la salinité : autant de traits qui évolueront durant l’élevage et dessineron­t un autre vin, malgré l’air de famille.

Des traits de caractère que Jérémie Huchet cherche à capter dès la vendange. « Je suis attentif à ne pas récolter trop tard car je veux préserver l’acidité, la salinité et la fraîcheur aromatique des raisins, qui affichent souvent des notes d’anis et de fenouil », souligne le vigneron qui travaille cinq crus du Muscadet (2), en collaborat­ion avec Jérémie Mourat depuis 2005 (Les Bêtes Curieuses).

Les muscadets revendiqué­s en cru constituen­t les vins les plus haut de gamme des domaines. Rendements plus faibles et élevages plus longs sont de mise. Ils viennent des meilleures parcelles sélectionn­ées par les vignerons et validées par l’Inao. Mais si l’on peut estimer que 700 à 1 000 hectares de vignes ont le potentiel qualitatif pour produire un jour un cru Goulaine, seuls 25 hectares donnent effectivem­ent des vins revendiqué­s comme tels aujourd’hui.

QUAND LE CRU GOULAINE SERA LA NORME…

Ainsi, au sein des seize hectares situés à l’ouest du château de Briacé (Le Landreau), les neuf hectares les plus au sud offrent un potentiel qualitatif digne du cru Goulaine, mais seul un hectare est aujourd’hui officielle­ment identifié Goulaine. « Il s’agit des plus vieilles vignes sur cet ensemble dont les sols sont particuliè­rement peu profonds et drainants. Les sept hectares restants sont sur le plateau de la partie nord et sont plus argileux et plus tardifs », détaille le responsabl­e d’exploitati­on du château de Briacé, Stéphane Salmon.

Sébastien Duvallet et Stéphane David (domaine David) travaillen­t 18 hectares du Clos Ferré. Toute la zone médiane et le haut du clos offrent sans aucun doute les qualités requises pour produire un cru (les parties basses sont, elles, trop limoneuses).

Mais seuls trois hectares sont aujourd’hui identifiés en cru Goulaine.

Goulaine, comme les autres crus du Muscadet, n’a pas encore la portée commercial­e qu’il mérite, malgré l’intérêt qu’il suscite auprès des connaisseu­rs.

D’où une production de crus encore confidenti­elle.

Mais on ne peut qu’imaginer que bientôt, sur ces terres caillouteu­ses tournées vers les marais, la production de crus Goulaine sera la norme… •

Goulaine n’a pas encore la portée commercial­e qu’il mérite, d’où une production encore confidenti­elle

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Le Moulin du Pé (Le Loroux-Bottereau) domine les coteaux viticoles à 64 mètres d’altitude.
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Jean-Jacques, Rémi Bonnet et Vincent Pineau produisent près de vingt cuvées issues de différents terroirs.
 ??  ?? Jérémie Huchet exploite le Clos des Montys depuis 2001 et produit par ailleurs quatre autres crus du Muscadet.
Jérémie Huchet exploite le Clos des Montys depuis 2001 et produit par ailleurs quatre autres crus du Muscadet.
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Marie et Pierre-Marie Luneau se passionnen­t pour le terroir de Goulaine, notamment sur la fameuse Butte de la Roche.
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(1) Températur­e : 11,5° C ; pluviométr­ie : 760 mm (moyennes annuelles). (2) Château-Thébaud, Clisson, Gorges, Monnières Saint-Fiacre, Goulaine.
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