La vie rêvée des influenceurs sur Instagram
quotidienne, ses goûts, ses coups de coeur pour tel ou tel produit sur les canaux digitaux (réseaux sociaux ou blogs), ce qui lui permet de capter l’attention et même d’influencer les actes d’achat ou de consommation de ses abonnés gratuits.
« Pour être un influenceur vin, il faut publier de belles photos, des vidéos et surtout s’extraire du vocabulaire technique, parler du vin de manière décomplexée, sinon seuls les connaisseurs comprennent, explique Laura Bounie, du cabinet de conseil Sowine. Leur communauté les suit car elle les comprend, elle s’identifie à eux et leur fait confiance. » Eh oui, c’est un choc pour toute une ancienne génération : il n’est pas nécessaire de bien connaître le vin pour devenir un influenceur performant, il suffit de savoir en parler simplement.
DES AFFICHES 4X3 M EN PLEINE RUE
Qui sont-ils ? Leurs profils sont en réalité assez divers. En France, Nicolas Strager (@sipmygrape, plus de 28 000 abonnés), un des influenceurs français les plus en vue, est responsable commercial au sein de la société Marussia, spécialisée dans le commerce de spiritueux (lire aussi page 22). Margot Ducancel (@rougeauxlevres, 24 500 abonnés) est une jeune femme ultra-énergique, un temps collaboratrice du mensuel Cuisine et vins de France, aujourd’hui passée à son compte et fondatrice d’un club de vin 100 % féminin à Paris. Profil plus atypique, Laurent Charrière est un policier de 47 ans. Bien connu sur
Instagram sous le pseudonyme de @les_vins_du_capitaine, il fédère une “petite” communauté de près de 5 000 abonnés, dont la grande majorité sont de véritables amoureux du vin.
Parviennent-ils à vivre de leur activité ? Contrairement à ce que pourrait laisser penser la jovialité qui se dégage de son mur de photos, Instagram n’est pas pour Georgia Panagopoulou qu’un terrain de jeu, c’est aussi et surtout un espace de travail. Le réseau lui sert de vitrine pour afficher son savoir-faire, décrocher des collaborations et mettre en images ses partenariats. Est-elle rémunérée par les domaines à chaque fois qu’elle les met en avant sur son compte, comme elle l’a fait avec La Lagune ? C’est peu probable. Wine Gini ne s’épanche pas sur les chiffres, mais Caroline Frey, directrice de La Lagune, à l’origine de sa venue à Bordeaux, évoque un échange non rémunéré : « C’est du donnant-donnant. Wine Gini avait envie de venir et, moi, j’étais très contente de la rencontrer et de l’inviter. En une semaine, durant les dernières vendanges, elle a visité Paul Jaboulet Aîné, le château La Lagune et le château Corton C. (trois propriétés de Caroline Frey, ndlr) ».
En Italie, Simona Geri (@simonagsommelier, près de 41 000 abonnés) assure vivre partiellement de ses prestations sur Instagram. Cette fringante quadra domiciliée à Piombino, en Toscane, sommelière de formation, dont le nombre d’abonnés a explosé depuis trois ans, possède aujourd’hui sa propre société et met en scène les vins de différents producteurs et négociants. On peut la voir ces temps-ci sur des affiches 4x3 m dans les rues italiennes, faisant la promotion de tel ou tel flacon ! Si elle non plus ne donne pas de chiffres, Simona s’active sur plusieurs fronts : elle est également jurée pour des compétitions de vins, consultante, blogueuse et partenaire médias pour de nombreuses manifestations liées au vin.
SORTIR DU LOT
En France, combien de ces nouveaux influenceurs vin sur Instagram sortent-ils du lot ? Spécialisée dans le marketing digital autour du vin, l’agence Sowine nous confie travailler avec un fichier d’une centaine de noms, « dont 60 % ont déjà été rémunérés pour une opération de promotion ». Toutefois, beaucoup d’agences de relations publiques ou de communication assurent ne jamais payer les influenceurs sollicités. « Nous gérons un catalogue de cinquante à cent influenceurs uniquement pour les vins français, mais nous ne les payons pas, c’est une règle d’or », affirme Éric Touchat, de l’agence Ozco.
Nous avons tenté d’en savoir plus. Commençons par Margot Ducancel, alias Rouge aux Lèvres, qui a bâti un modèle professionnel proche de celui de Wine Gini. Un pseudo Instagram qui se décline en marques, celles d’un club de dégustation dédié aux femmes, d’une agence événementielle destinée aux entreprises et bientôt d’un magazine en ligne. « Je vis de cette
activité depuis un an et demi, et Instagram représente environ 40 % de mes revenus. Je suis la seule en France dans ce cas, beaucoup d’influenceurs font tout gratos, raconte la Picarde de 33 ans, qui met un point d’honneur à rédiger tous ses textes uniquement en français, quand d’autres choisissent d’utiliser aussi l’anglais. J’ai fait un travail de pionnière. Peu à peu, les maisons comprennent que c’est un nouveau canal qui se professionnalise. » Derrière sa détermination et le rendu impeccable de ses photos, réalisées par un professionnel, Margot Ducancel reconnaît qu’il n’est pas simple de trouver sa place. « C’est tout nouveau, ce métier n’est pas vraiment défini ; parfois, on se sent illégitime. Il faut du temps avant d’être à l’aise avec les tarifs qu’on propose », souligne cette titulaire d’un bachelor d’expertise en biens culturels et d’un WSET niveau 3.
Nicolas Strager, alias Sip My Grape, pense également qu’il est difficile de vivre uniquement d’Instagram via le vin. « Dans d’autres domaines, oui, mais le milieu du vin présente encore trop de réticences aux réseaux sociaux », relève-t-il. Ce trentenaire installé à Paris intervient dans le commerce de vins et de spiritueux. Ce qui ne l’empêche pas de compléter son salaire avec des partenariats Instagram. La plus belle offre qu’il affirme avoir reçue jusqu’à présent est venue d’une agence de communication : 1 500 euros en échange de six publications, soit 250 euros par publication.
UN JOUET RIGOLO
Ambassadeur du verrier Zalto, Valentin Cotton, alias Wine Poetry (7 500 abonnés), voit lui aussi Instagram comme un outil de communication capable de vous propulser vers une activité rémunérée. Ce pianiste concertiste, qui assure facturer environ 100 euros le post (message) et entre 100 et 200 euros le live (intervention en direct) vidéo, a fondé récemment une société de vente et de distribution de vin à Londres, Vinorum Ltd. D’après lui, « cela n’aurait sans doute jamais été possible sans Instagram et le réseau relationnel que cela m’a permis de tisser ».
Laurent Charrière, alias Les Vins du Capitaine, est lui aussi reconnaissant envers Instagram de lui avoir ouvert des portes. « Le château La Grâce Dieu des Prieurs, à Saint-Émilion, ne m’aurait jamais donné de bouteilles à 250 euros sans cette visibilité. Sans Instagram, je n’aurais pas non plus rencontré Louis-Fabrice Latour,
avance ce capitaine de police de 47 ans qui, lui, assure se désintéresser de l’aspect financier. J’ai ouvert un compte il y a deux ans car ce jouet avait l’air rigolo. Je voulais partager mes dégustations et rencontrer une communauté. Être rémunéré pour parler de vin ne fait pas partie de mon projet. On ne me fera jamais parler d’un vin que je
n’aime pas, je veux avant tout m’amuser. » Ce qui ne l’empêche pas de jouir de l’influence qu’il a développée : « C’est impressionnant, je suis sollicité par l’interprofession de Chablis pour devenir juré, et quand j’ai fait des lives avec des vignerons, en décembre, des gens m’ont dit qu’ils avaient acheté les vins dont on avait parlé ! ».
UN MILIEU GUÈRE RENTABLE
Alors, quelle est la motivation des influenceurs ? L’un des principaux avantages en nature qu’ils peuvent espérer, c’est l’envoi d’échantillons gratuits. Des bouteilles, des coffrets, des verres. Et souvent, aussi, des voyages et invitations. Laurent Charrière reçoit régulièrement des cartons de bouteilles, deux ou trois en décembre par exemple. Guillaume Benquet (@un_blaireau_et_du_vin, 6 500 abonnés) reçoit, lui, deux colis d’une à six bouteilles par semaine en moyenne. Il ne se fait pas payer pour mettre en avant une cuvée. « Je le fais par plaisir. Si ça m’emmerde, je lève le pied. C’est sympa d’imaginer que ça pourrait rapporter de l’argent, mais c’est une corvée d’en demander. Il y a aussi le fait que je ne me sens pas assez “gros” pour cela », précise cet ancien caviste de 29 ans, qui vit à Paris.
Chef de secteur en grande distribution pour la société Terre de Vignerons, Guillaume Benquet réfléchit à se réorienter vers la communication et le marketing pour retrouver dans son travail la créativité découverte sur Instagram. Il ne se reconnaît pas dans « l’esprit commercial » de certains instagrameurs, qui démarchent les vignerons et les agences pour réclamer des bouteilles. Lui n’a contacté qu’une seule propriété, le château Lagrange à Saint-Julien : « Je leur ai dit que j’étais fan, ils m’ont proposé de faire un live sur le millésime 2016 ».
Conclusion à ce stade : gagner en partie sa vie sur Instagram dans le rôle d’influenceur vin est donc a priori possible. À condition d’y associer d’autres activités : le marketing, l’événementiel ou même l’enseignement. Xavier Lacombe, alias XL Vins (22 000 abonnés), est dans ce cas. À 34 ans, en plus de son travail d’enseignant en école de commerce (l’ESG Bordeaux), des cours qu’il donne pour le WSET et des chroniques qu’il rédige pour le magazine Sommeliers International, il égrène ses vins “coup de coeur” sur Instagram depuis 2015. Il tient également un site (xl-vins.fr) où il raconte les coulisses de la vie d’influenceur et livre des conseils à ceux qui voudraient se lancer dans cettte “carrière”. Mais sur la question de la rémunération, il douche les espoirs : « Les partenariats que vous pouvez espérer contracter en tant qu’influenceur vin sont ridicules comparés à d’autres milieux comme la mode. Si c’était ici votre but, premier conseil : oubliez le vin ! Ce n’est pas rentable, la même communauté dans un autre milieu vous rapportera bien plus ! ». Xavier Lacombe s’est prêté à une dizaine de partenariats payants en trois ans. Notamment avec Chais d’oeuvre, pour mettre en avant une box de vins, et avec le château de Rayne Vigneau (Sauternes), pour lequel il a organisé un live vidéo. Il facture sa prestation entre 60 et 300 euros, et précise que ce montant est imposé à hauteur de 22 %.
DES NANO AUX BIG-INFLUENCEURS
Et les agences de communication, comment s’y prennent-elles pour recruter les influenceurs vers lesquels elles orientent leurs clients producteurs ?