Le maquis de la législation
En France, environ 250 cépages sont inscrits sur la « liste des variétés de raisins de cuve pouvant être plantées, replantées ou greffées à des fins de production vitivinicole » (BO du 26 mars 2020, aliéna a). Il s’agit d’une majorité de cépages “classiques” (cabernet, cinsaut, clairette, chardonnay, merlot, sauvignon…), auxquels s’ajoutent quelques spécialités régionales (chambourcin, villard noir, rayon d’or, castet, fié gris, terret bourret…) et de plus rares nouveautés récemment admises, comme une vingtaine de cépages hybrides (souvignier gris, sauvignac, cabernet blanc…). Une liste annexe (alinéa b) donne le droit de vinifier certaines espèces, mais uniquement dans certains départements (une vingtaine peuvent utiliser le célèbre chasselas pour faire du vin, treize pour le muscat d’Alexandrie). Des communes de l’Ain ou de Haute-Savoie peuvent produire du raisin de cuve non inscrit en France à condition qu’il soit exporté en Suisse (alinéa c). Des variétés corses ou créées par l’Inra sont au “classement temporaire” pour dix ans (alinéa d). Les cahiers des charges des appellations listent bien entendu elles-mêmes les cépages acceptés pour produire des AOP ou IGP. Aujourd’hui, 90 % du vignoble français est planté avec seulement 40 cépages. B. S.
Dans les années 1950, le ministère de l’Agriculture lance une campagne d’arrachage pour éradiquer les six cépages déjà interdits en 1934.
en réalité, des milliers de bouteilles issues de cépages interdits sont finalement vendues, au nez et à la barbe des Douanes. « J’ai des demandes de la France entière, du Jura, de Bretagne, de Nice, pour des hybrides, interdits ou non : de l’isabelle, du noah, du clinton, du dattier de saint-vallier… On s’aperçoit qu’ils demandent moins de travail », s’amuse Laurent Cabrol, à la fois vigneron et pépiniériste (société Viticabrol) dans le sud du pays. Il vient d’envoyer 50 plants de noah destinés à être plantés… sur l’île d’Yeu !
UNE VISION PLUS “LIBÉRALE” DE NOS VOISINS
Cette France clandestine n’attend qu’une chose : que la législation s’assouplisse enfin. « La situation est complexe parce que l’évolution juridique n’est pas la même dans tous les pays », pointe Stéphan Balay. Nos voisins européens semblent en effet adopter une vision plus “libérale”. Dans le Piémont italien, les vignerons peuvent vinifier librement leur clinton. Dans le Burgenland autrichien, leurs homologues ont obtenu une dérogation (jusqu’en 2030 !) pour intégrer de l’othello ou du concord dans leur uhudler (une spécialité locale). Aux Açores espagnoles, la principale société viticole, Azores Wine Company (AWC) vend en magasin sa cuvée d’isabelle, la bien nommée A Prohibida.
La situation française est d’autant plus étonnante que les cépages interdits ou oubliés sont cultivés dans le monde entier, aux États-Unis, en Inde… « Nous nous battons pour faire évoluer notre législation : elle est absurde et bride le basculement vers la biodiversité et les bonnes pratiques », s’agace Vincent Pugibet, président de PIWI France, et surtout un des plus gros vignerons d’hybrides en France, des hybrides récents, mais tout autant victimes des pesanteurs réglementaires (lire p. 40).
Il est difficile de faire bouger les choses. Des associations ont fait le siège du cabinet de Stéphane Le Foll, du temps où il était ministre de l’Agriculture (2016). Un verre de clinton n’a pas déridé le lieutenant de François Hollande. La même année, une délégation menée par les députés européens Éric
Un verre de clinton n’a pas suffi à convaincre le ministre de l’Agriculture
Interdits à la vente, les vins (ici, la Cuvée des Vignes d’Antan) issus de cépages prohibés peuvent cependant être bus en famille ou entre amis.
AVRIL 2021 -