Une robe qui fait causer
Débat autour d’une bouteille
Bandol rosé L’Irréductible 2020 du domaine de la Bégude
En salle de dégustation de La Revue du vin de France, les échanges vont bon train, même pendant le Covid19. Les membres du comité aiment à partager tel ou tel échantillon qui leur transmet une émotion. Ou discuter entre connaisseurs d’un vin jugé décevant. Ce fut le cas autour d’un bandol rosé du domaine de la Bégude. Ce vin, dégusté par Karine Valentin puis partagé avec Caroline Furstoss, a déclenché un débat 100 % féminin sur la couleur des rosés.
Caroline Furstoss. Karine, tu rapportes de ton dernier périple provençal un bandol rosé, L’Irréductible 2020 du domaine de la Bégude. Il y a longtemps que je ne l’ai pas goûté. Et je pensais qu’il était vendu sous la dénomination Vin de France.
Karine Valentin, tendant la bouteille. Ah, tu veux le goûter ? En effet, ma chère Caroline, voilà un vin qui fait débat. Depuis l’origine, sa couleur particulière, ce rouge soutenu, presque mordoré, lui a valu de pâtir du “délit de sale gueule” et d’être longtemps recalé lors des dégustations d’agrément de l’AOP Bandol. Mais Soledad et Guillaume Tari sont des vignerons de conviction, ils ont maintenu le style qu’ils aiment, d’où son nom : L’Irréductible.
CF. Ah oui, en effet ! Sa couleur soutenue n’est pas celle dont on a l’habitude dans le Sud. Pour ma part, je préfère les rosés qui affichent une robe plus pâle, et je dois reconnaître que c’est ce que réclament de nombreux fans de rosé.
KV. Il faut croire que les dégustateurs de l’appellation se sont habitués aux rosés plus foncés. Depuis quelques années, L’Irréductible a retrouvé son agrément. Pour ma part, j’aime les rosés provençaux colorés. Cette année, la couleur tenait mal à cause du millésime, beaucoup de cuvées étaient très pâles. Et je dois te dire qu’en matière de goût, j’en ai un peu assez de ces rosés pâlichons, ils manquent de tempérament. À l’aveugle, on les confond aisément avec des blancs.
CF. Je ne suis pas de ton avis, Karine. Pour moi, le rosé de Provence doit afficher cette couleur pâle caractéristique, voilà ce qui le distingue des autres.
Et en matière de rosé, n’oublie pas que je suis alsacienne et qu’un Alsacien, Marcel Ott, fut l’un des pionniers de ce type de rosés au bord de la Méditerranée.
KV. Un crack ! C’est vrai qu’il est permis en Provence d’assembler des raisins rouges à des raisins blancs pour faire du rosé. Mais quand même : Bandol possède un cépage magnifique, le mourvèdre, capable de donner ce type de rosé, plus coloré, lorsqu’il est assemblé à plus de 50 %. C’est le cas de cette cuvée, qui contient 95 % de mourvèdre. Voilà un vin qui a la gueule de l’endroit, non ? Et puis, si l’on produit des blancs de terroir, pourquoi priver les rosés de cette caractéristique ?
CF. Tu ne me feras pas changer d’avis. Je préfère les rosés frais, sur le fruit, issus de grenache, de cinsault, voire de tibouren.
KV. Les rosés de Bandol ne sont pas tous faits pour être bus jeunes, surtout ce style. Ils peuvent attendre au moins une année, le temps que le mourvèdre se mette en place. Guillaume Tari fut parmi les premiers à proposer des rosés avec deux ou trois ans d’élevage.
CF. Dans le rosé, une chose m’agace : l’aspect technique et le style du vigneron dominent trop. Et tu vois, je trouve celui-ci trop strict.
KV. C’est logique, ce diable de mourvèdre se referme toujours sur lui-même au début. En plus, ce printemps est froid, les vins ne sont pas épanouis, surtout les rosés puissants, presque tanniques. Laissons-lui du temps.
CF. Une autre question, Karine. Les vignerons de Bandol produisent aujourd’hui 74 % de rosé alors que leur rouge est considéré comme le meilleur de Provence. Faut-il vinifier autant de mourvèdre en rosé, au détriment des rouges ?
KV. Il y a une dérive “rosé” dans l’appellation, oui, mais qui sait, Caroline : peut-être un jour les rosés de Bandol, ceux qui sont faits dans le sens du mourvèdre, prétendront-ils au classement de Grand cru rosé ?•