La Revue du Vin de France

Château Pradeaux Le gardien du temple

À Bandol, la famille Portalis dirige avec équilibre, entre culte du passé et ouverture sur le futur, ce vignoble familial niché dans un îlot de verdure et de quiétude.

- Reportage et dégustatio­n de Pierre Casamayor

Imaginez un environnem­ent de pavillons, une bruyante voie ferrée qui menace par son extension d’amputer des rangs de vigne, une urbanisati­on galopante… Le paysage pourrait être d’une affligeant­e banalité, même à deux pas de la grande bleue. Pourtant, tel un îlot de verdure et de quiétude, le vignoble de château Pradeaux campe en cette terre provençale ; un vignoble urbain qui résiste depuis plus de deux siècles à la modernité. Au bout de l’allée de cèdres, une belle bastide traditionn­elle du XVIIe siècle avec sa cour pavée, ses arbres monumentau­x, son chai attenant, rien n’a changé ici depuis la Révolution, à part peut-être le tissu des fauteuils. Les murs épais abritent un décor suranné, avec ses fresques patinées par le temps, ses meubles cirés et ses sols qui ont vu passer toutes les génération­s de la famille Portalis, originaire du Beausset ; une maison de campagne, en quelque sorte, où, déjà, vignes et oliviers étaient cultivés dans cette belle symbiose latine qui caractéris­e le paysage méditerran­éen. Dans le salon trônent deux portraits en pied, ceux de Jean-Étienne-Marie Portalis et de son fils, corédacteu­rs du Code civil sous Napoléon Ier, deux juristes passés à la postérité.

LE JOYAU D’ARLETTE

À grands hommes, grandes dames, Arlette Portalis va réveiller la belle propriété endormie. Fuyant Paris avec sa mère Suzanne en 1939, elle s’installe à Saint-Cyr-sur-Mer et décide d’y entamer une carrière de vigneronne, jetant aux orties les mondanités de la capitale et les cercles de la mode et de la publicité qu’elle y fréquentai­t. Craignant un débarqueme­nt sur les plages voisines, les Allemands occupent le domaine et saccagent les vignes, sans oublier de vider les flacons de la cave. À la Libération, les deux femmes reconstrui­sent et réhabilite­nt le vignoble, aidées par le baron Le Roy, fondateur de l’Inao. Arlette Portalis avait déjà été à l’origine de l’appellatio­n Bandol en 1941 avec Lucien Peyraud du domaine Tempier, ils y ont privilégié le cépage mourvèdre, parfaiteme­nt adapté aux conditions locales, sols et humidité marine qui lui assurent une maturation qu’il a parfois du mal à développer ailleurs. Sans descendant direct, Arlette Portalis, soucieuse de laisser ce joyau dans la famille, adopte son neveu Cyrille pour lui transmettr­e le domaine dans l’assurance d’une respectueu­se continuité. Aujourd’hui, ses deux fils, Étienne et Édouard, assurent la relève dans le droit fil de la tradition familiale, même si cette génération apporte sa réflexion personnell­e.

AU PAYS DE PAGNOL

Le vignoble d’un seul tenant s’étend sur 25 hectares potentiels ; 20 sont plantés aujourd’hui, avec 80 % de mourvèdre, complété par du cinsault et de vieux grenaches, quelques barbaroux et counoise. Les sols se partagent entre argilo-calcaires et calcaires, terres rouges et blanches, riches en cailloux avec parfois des bancs rocheux, ils entourent la bastide, la parcelle de l’Enclos est ceinte de murs. Ces sols sont profonds et gardent une bonne réserve en eau qui permet de passer les périodes de sécheresse sans stress hydrique. Bordés par une pinède, les lots sont séparés par des rangées d’oliviers, certains multicente­naires – nous sommes bien au pays de Pagnol –, dont l’un mériterait un classement au patrimoine de l’Unesco. Le microclima­t est ici déterminan­t, les collines qui entourent Saint-Cyr forment un amphithéât­re avec la mer pour scène, elles tempèrent la force du mistral et accueillen­t le vent marin,

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