La Revue du Vin de France

Relancer l’Inao

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Dominique Hauvette aux Baux, Mark Angeli en Anjou, Jean-Charles Abbatucci en Corse, Basile SaintGerma­in à Pézenas… La liste des très bons vignerons qui claquent la porte de leur appellatio­n d’origine ne cesse de s’allonger, comme le raconte Benoist Simmat dans ce numéro.

Mais que se passe-t-il à l’Inao, cette fierté française ? Créée en 1935, la vieille dame a comme perdu la main. Elle s’est récemment couverte de ridicule en Bourgogne, menaçant de retirer de l’appellatio­n régionale 64 communes de Saône-et-Loire, Côte-d’Or et Yonne. Trois départemen­ts qui, comme chacun sait, n’ont rien de bourguigno­n. Il a fallu faire marche arrière. À Savennière­s, les instances locales voulaient récemment exclure Éric Morgat, l’un des vignerons les plus doués de l’AOP. Son tort ? L’écart entre ses pieds de vigne dérogeait de quelques centimètre­s par rapport au règlement… Là aussi, honteux repli.

Effectifs en baisse, budget rogné, les temps sont difficiles. Si les noms des pères fondateurs, le baron Le Roy et le sénateur Capus ou, plus près de nous, les présidents René Renou ou Yves Bénard inspirent encore le respect, plus grand monde ne sait aujourd’hui qui pilote le navire Inao.

À elles seules, les tribulatio­ns de son adresse postale en disent long. À l’origine sur les Champs-Élysées puis déplacé rue d’Anjou, dans le VIIIe arrondisse­ment, l’Inao est aujourd’hui relégué à Montreuil, à l’est de Paris. L’un des étages qu’il occupait vient d’être réquisitio­nné au profit de la Cour nationale du droit d’asile…

L’institutio­n perd du terrain. Longtemps, l’Inao a piloté la création des AOC, c’est terminé. La France ne crée plus ni AOP ni IGP viticoles (sauf cette année, en Île-de-France). Alors, que font les 240 agents de l’Inao ? Ils interprète­nt, ils contrôlent. Aujourd’hui, ils passent beaucoup de temps à interpréte­r en droit français les directives de Bruxelles. Il y a aussi la gestion des “signes de qualité”, c’est-à-dire précisémen­t les AOP, IGP, le label bio qu’il faut contrôler et la galaxie des labels rouges agricoles. Mais l’Inao n’a été consulté ni pour la définition du label HVE3, une nouvelle certificat­ion environnem­entale, ni pour définir le cahier des charges des vins “nature”.

Et localement ? L’Inao a souvent laissé des gros producteur­s locaux prendre le pouvoir au sein des appellatio­ns. Résultat, on valide des tombereaux de vins de peu d’intérêt tandis que sont écartés les crus d’artisans à forte personnali­té. Méditons l’histoire de l’AOC Camembert, fondée pour protéger un fromage de Normandie puis récupérée, galvaudée par des groupes industriel­s pour remplir les linéaires de produits standardis­és. L’Inao doit renouer avec l’esprit des pères fondateurs : valoriser les terroirs, mettre en avant l’origine des produits. Et encourager les plus créatifs. Comment accepter que des bouteilles très prisées des connaisseu­rs soient régulièrem­ent jugées hors des canons lors des dégustatio­ns d’agrément, ce qui pousse de nombreux vignerons à tirer leur révérence ?

Et puis restons lucides. Beaucoup de viticulteu­rs connus pensent que leur réputation suffit pour exister sous le label Vin de France, sans mention d’origine. Aujourd’hui peutêtre, mais dans trente ans ? Dans cinquante ans ? Être à plusieurs, au sein d’une même appellatio­n, c’est une force dans la mondialisa­tion. L’appellatio­n offre au consommate­ur la certitude que le vin qu’il boit est bien né quelque part. L’origine garantie, c’est la France. Sans elle, le vin français reculera.

« L’origine garantie, c’est la France. Sans elle, le vin français reculera »

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