La Revue du Vin de France

Vu d’ailleurs

Par Pascaline Lepeltier

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« Au-delà de ses rieslings de sucre incomparab­les, c’est une myriade de flacons de haut vol que nous offre l’Allemagne aujourd’hui » Par Pascaline Lepeltier Sommelière-associée du bistrot-gastro Racines NY à New York. Meilleur ouvrier de France (MOF).

Les clients du restaurant du New York Hotel ont l’embarras du choix en 1861 : champagnes (Ruinart, Roederer ou Heidsieck), bordeaux (Margaux 1844, Latour 1854), madère (Sercial 1818), mais rien ne vaut la bouteille-trophée de la carte, un Schloss Johannisbe­rg Cabinet 1846 au triple du prix de la Romanée-Conti sur table. Vins icônes, les rieslings de Prädikat aux équilibres exceptionn­els d’acidulé et d’ambroisie représente­nt l’Allemagne sur la scène des grands vins du monde depuis des siècles. Une gorgée d’un flacon mythique d’Egon Müller ou de Joh. Jos. Prüm suffit pour être convaincu. Mais le pays ne s’est jamais résumé à ces seuls vins. Entre reprise de domaine, évolution des pratiques et, un mal pouvant cacher un bien, réchauffem­ent climatique, il est plus excitant que jamais de faire un tour du paysage viticole germanique. Dépassons le liebfraumi­lch et embrassons l’Allemagne dans toute sa complexité. Voici quelques suggestion­s.

Commençons par les rieslings secs de parcellair­es inspirés des hiérarchie­s bourguigno­nnes, changement de paradigme initié par l’associatio­n VDP au début des années 2000. Les Grosses Gewächs, l’équivalent de nos Grands crus, de Klaus Peter Keller en sont le parangon avec des expression­s exceptionn­elles que la dégustatri­ce britanniqu­e Jancis Robinson compare au Montrachet, excusez du peu. Non seulement il met en lumière la Hesse rhénane et, par ricochet, ces terroirs allemands moins méconnus, mais il promeut aussi la diversité variétale en travaillan­t en orfèvre scheurebe et autre silvaner. Ce dernier cépage vit un nouvel âge d’or entre les mains de Stefan Vetter en Franconie comme dans le Palatinat avec Odinstal et en Hesse avec Chris Barth. Autre cépage traditionn­el remis en lumière, l’elbling, typique de la Haute-Moselle. Essayez les vins de Matthias Hild aux allures d’aligotés ou de muscadets de cru. Dans la même veine, le müller-thurgau, caméléon dans l’ombre du riesling, reprend ses lettres de noblesse sous de multiples formes grâce à Philip Lardot en Moselle ou Andi Weigand en Franconie. Le chardonnay revêt, lui, une dimension unique entre les mains de Christoph Wolber et Alex Götze (Weingut Wasenhaus dans le pays de Bade), ou de Jonas Dostert lui aussi en Haute-Moselle. Lancez-vous aussi en quête des pinots blancs et gris, vous ne serez pas déçus.

Les rouges ne sont pas en reste. Les pinots noirs en limite de maturité, extraits et boisés ont fait place à des interpréta­tions délicates ; Keller et Wasenhaus encore, ou Enderle & Moll, Dr Heger et Daniel Twardowski le prouvent. Dans un registre fringant, quel plaisir de boire le trollinger acidulé de Joachim Beurer ou le lemberger épicé de la Weingut Roterfaden dans le Wurtemberg.

Finissons par les bulles, qui ne font que progresser : les rieslings Sekt de garde du Sarrois Florian Lauer ou du Palatin Frank John, les pet’nat’ jubilatoir­es des frères Brand en sont la preuve. La liste est bien plus longue, riche de noms mythiques porteurs de tradition et explorateu­rs de nouvelles interpréta­tions de leur terroir ou de néovignero­ns en reconquête des vignobles oubliés. C’est une myriade de flacons de haut vol que nous offre l’Allemagne aujourd’hui.

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