« Les petites mains de la vigne sont invisibilisées »
Vous trouvez que les « petites mains » du vignoble médocain manquent de reconnaissance ?
Elles ne bénéficient pas de l’image du vin, véritable emblème de la France. Tout se passe comme si le raisin rentrait seul en cuve. De l’extérieur, on voit des cols blancs qui chaussent les bottes le temps de la photo, mais rien sur les travailleurs de la vigne. Ces derniers sont invisibilisés. Leur travail est mal connu. Beaucoup de gens se demandent d’ailleurs ce qu’ils font en dehors des vendanges.
Vous vous appliquez justement à décrire et illustrer leurs nombreuses tâches.
Mon objectif premier est de rendre hommage à ces femmes et à ces hommes de l’ombre. Je veux leur faire prendre conscience de leur savoir-faire, de l’importance de chacun de leurs gestes et de leur contribution à la qualité des différents millésimes. Ma démarche est aussi pédagogique auprès des amateurs. J’espère qu’ils apprécieront encore davantage le vin en comprenant un peu mieux le travail à la vigne. Il ne faut pas réduire le vin à la pipette des oenologues.
Vous décrivez des conditions de travail à la vigne qui se dégradent.
Le travail est souvent mal payé. Les cadences s’accélèrent. La pression psychologique s’accroît avec l’arrivée de managers qui imposent des quotas, comme à l’usine. Le lien direct entre la propriété et le travailleur se perd depuis l’apparition il y a dix, quinze ans des prestataires de service agricole. Il suffit désormais de passer un coup de fil à l’une de ces entreprises pour voir cinquante travailleurs débarquer en car le lendemain.
Vous êtes vous-même saisonnière. Aimez-vous votre travail ?
Je ne l’adore pas, c’est pourquoi je ne passe pas plus de six à neuf mois dans les vignes chaque année. À la fin d’une saison, j’ai mal partout. Mais j’ai la chance de travailler pour une propriété certifiée en bio, le château Micalet (Haut-Médoc), qui se comporte bien avec ses équipes, c’est agréable. Jusqu’à l’année dernière, je travaillais pour un grand cru classé de Margaux où les conditions étaient nettement moins bonnes. Mais je ne suis pas représentative, les travailleurs ont souvent un attachement viscéral à leur travail et à “leurs” vignes.
Le livre est dédié notamment à votre frère Denis, ouvrier viticole décédé en 2009. On se souvient de votre combat pour faire reconnaître son cancer comme maladie professionnelle liée à l’exposition aux produits phytosanitaires. Une demande rejetée par la justice.
Denis était un travailleur des vignes passionné. Il avait aussi quelques pieds de vignes et adorait faire son vin de table. Je voulais lui rendre un bel hommage et montrer le travail formidable qui était aussi le sien. Chez nous, le vin est une affaire de famille, ma mère était saisonnière et mon père maître de chai à Listrac.•