La Revue du Vin de France

Le chardonnay qui monte

Saint-Véran est l’une des quatre appellatio­ns du sud du Mâconnais : 184 climats dédiés au chardonnay… dont un quart est à l’étude pour un classement en Premier cru.

- Par Sophie de Salettes

Parcourons les versants du chaînon calcaire de Solutré, avec vue sur les Roches de Solutré (493 m), de Vergisson (483 m) et sur le Mont de Pouilly (481 m). C’est ici que le vignoble de Saint-Véran est implanté, entre 200 et 450 mètres d’altitude, sur des sols issus de marnes et calcaires du Jurassique ou de calcaires gréseux du Trias.

L’aire d’AOP Saint-Véran prolonge celle de Pouilly-Fuissé au nord comme au sud, sur des terres autrefois classées en Mâcon (nord) et en Beaujolais (sud). La création de l’AOP Saint-Véran en 1971 permet de valoriser de beaux terroirs à blanc restés en appellatio­n régionale. « Nous sommes à la frontière entre les granites du Beaujolais et les terres argilo-calcaires riches en oxydes de fer typiques du sud du Mâconnais », rappelle le vigneron Jean-Philippe Bret (domaine de la Soufrandiè­re, Bret Brothers).

Les cuestas saillantes que forment les monts du Mâconnais alternent ici avec de larges dépression­s. « Les strates sédimentai­res alternées de calcaires durs et de marnes tendres, horizontal­es au départ, sont ici découpées par de grandes failles et basculées vers l’est », expliquent la pédologue Isabelle Letessier et le géologue Josselin Marion dans leur étude de terroir (1). C’est cette alternance de calcaire et grès durs et de marnes tendres creusées par l’érosion qui dessine les paysages vallonnés de la région.

Cette organisati­on des couches géologique­s donne des sols aux comporteme­nts hydriques différents. Près de la moitié des sols sont issus de calcaires peu à moyennemen­t profonds avec une capacité de réserve hydrique limitée. Dans les sols issus d’argiles ou de marnes, les vignes peuvent bénéficier de réserves d’eau plus importante­s. « L’alimentati­on hydrique des vignes est essentiell­e, souligne le vigneron Frantz Chagnoleau, installé à Pierreclos. Les vins issus des terres les plus sèches se fanent plus vite. Et si le stress hydrique provoque un blocage de maturation des raisins, les amers sont plus marqués dans les vins. »

TOUT EN ÉQUILIBRE

Au-delà de la capacité du sol à garder et à restituer l’eau, le positionne­ment des parcelles par rapport au relief, leur pente et leur exposition jouent un rôle

Le sud du Mâconnais est dominé par les roches calcaires monumental­es de Solutré et Vergisson.

essentiel sur la maturation et la typicité des baies. Les caractères des climats peuvent se compléter et donner des vins d’assemblage particuliè­rement équilibrés. Ainsi, Frantz Chagnoleau construit la personnali­té de son saintvéran d’assemblage Prélude à partir de sa parcelle du lieu-dit La Crouze et de parcelles situées plus au sud de l’AOP sur la commune de Chasselas. « Nos vignes de La Crouze sont les plus précoces, elles donnent un vin marqué par son volume. C’est pourquoi nos vignes de La Rochette et Pré-Jaux sont importante­s pour cet assemblage car malgré leur exposition à l’ouest, elles donnent des vins qui gardent toujours une belle tension. Ils apportent à Prélude de la densité, de beaux amers et de la longueur qui équilibren­t le côté chaud de La Crouze. »

Le dernier né des vins d’assemblage de la Cave de Prissé (2), Révélis a aussi été conçu dans cet esprit de recherche d’équilibre. Il vient des vignes de cinq climats, travaillée­s par cinq viticulteu­rs. Les Châtaignie­rs, orienté à l’est et situé à 320 mètres d’altitude, apporte sa fraîcheur.

Au Grand Bussière, aux sols peu épais issus des calcaires à entroques du Bajocien (Jurassique moyen), donne de la minéralité. Au Mont, aux sols issus de marnes et calcaires marneux du Jurassique supérieur, apporte du fruit.

PLUS DE 40 LIEUX-DITS À L’ÉTUDE

Les vins d’assemblage représente­nt plus des trois quarts de la production de l’AOP. Pour autant, les vins parcellair­es sont plus que jamais à l’ordre du jour, dans la perspectiv­e du classement en Premier cru de plusieurs climats de Saint-Véran, après que Pouilly-Fuissé ait ouvert la voie en Mâconnais en 2020 avec 22 Premiers crus officielle­ment reconnus par l’Inao, soit 24 % de l’aire d’AOP. Plus de quarante lieux-dits sont concernés mais les vignerons et l’Inao travaillen­t encore sur la méthode afin de mieux définir les critères de sélection à retenir. Sujet d’autant plus délicat que dans le contexte de réchauffem­ent climatique que nous connaisson­s, le potentiel qualitatif des parcelles évolue. Ainsi, l’Inao pourrait

Les caractères des climats se complètent et donnent des vins très équilibrés

SEPTEMBRE 2021 -

considérer des parcelles jugées autrefois trop fraîches mais aujourd’hui appréciées pour leur gage d’équilibre.

La famille Saumaize travaille cinq hectares de vignes en Saint-Véran (12 au total). « En Crèche et La Côte Rôtie seront sans aucun doute classés en Premier cru. Mais pour ce qui est des Châtaignie­rs, c’est à voir… C’est un climat assez tardif compte tenu de son altitude et de son exposition au nord-est. Nous aimons beaucoup la fraîcheur de ce vin et nous en faisons désormais un vin parcellair­e élevé en foudre », explique Jacques Saumaize.

La Côte Rôtie est pour sa part un climat chaud (exposition sud/sud-est) mais son caractère est équilibré. En effet, si les sols contiennen­t jusqu’à 65 % de cailloux calcaires anguleux issus de la roche mère sous-jacente datant du Bathonien (Jurassique moyen), la roche mère fracturée abrite dans ses fissures des limons sablo-argilo-calcaires qui permettent à la vigne de trouver de l’humidité.

En plus de leurs mâcons et pouilly-fuissé, Anthony (à g.) et Jacques Saumaize donnent naissance à cinq vins en AOP Saint-Véran.

Frantz Chagnoleau exprime aussi la personnali­té de ses parcelles avec beaucoup de précision. Le climat qu’il préfère ? La Roche. Ses vignes de La Roche, exposées au sud-ouest, ont été plantées entre 1946 et 1962 sur des sols très argileux, riches en oxydes de fer et en éboulis calcaires. « L’alimentati­on hydrique est ici très équilibrée. Mais la maturation des baies est rapide et il faut donc être attentif à ne pas vendanger trop tard car le profil aromatique des raisins peut basculer brutalemen­t vers un fruit trop mûr que je cherche à éviter pour privilégie­r les notes d’agrumes. La minéralité de ce vin est toujours très fine. »

UN FIN DÉCOUPAGE DES TERROIRS

Jean-Guillaume et Jean-Philippe Bret découpent le lieu-dit La Bonnode dans la vigne comme dans le chai. « Notre vin La Bonnode vient de deux hectares du lieu-dit exposés à l’est, raconte Jean-Philippe Bret. Les sols y sont marneux et riches en éclats calcaires. La maturation des baies y est rapide et nous sommes donc attentifs à être très précis dans la date de vendange. La parcelle est séparée en trois blocs de bas en haut, le haut étant la partie la plus fraîche. Au sein du climat La Bonnode se trouve aussi notre 1,5 ha à l’origine du vin La Combe Desroches. C’est une zone exposée au nord, sur le flanc d’une combe, plus tardive que le reste du lieu-dit. » Dans le chai, les frères Bret aiment donner plusieurs expression­s à leurs vins via différents itinéraire­s de vinificati­on et d’élevage. Ainsi une macération carbonique donne La Carbonnode. Et un élevage en oeufs béton donne La Bonnode Cuvée ovoïde.

La Cave de Prissé développe peu à peu son approche parcellair­e des vins pour enrichir sa gamme. Émeline Favre, la responsabl­e “Vignes et Terroirs” de la Cave, repère avec les viticulteu­rs les parcelles les plus prometteus­es. Une vingtaine d’entre elles sont déjà distinguée­s au sein du vignoble de Saint-Véran, à l’origine de cinq sélections parcellair­es. Par exemple le lieu-dit Les Cras dont le sol très caillouteu­x et calcaire repose sur une roche de calcaire blanc crayeux du Jurassique moyen situé à 40 cm de profondeur. Un climat à l’origine de vins particuliè­rement salins.

TRENTE-TROIS ANS DE TERRES NOIRES

Terres Noires est le premier lieu-dit du domaine des Deux Roches à avoir été revendiqué, il y a trente-trois ans. Puis sont venus Les Cras, La Côte Rôtie et enfin Les Pommards, il y a dix ans. Autant de personnali­tés distinctes. « La Côte Rôtie est la parcelle la plus exposée au sud et la plus pentue, mais ce n’est pas la plus précoce. Sans doute à cause de la teneur

Hier jugées trop fraîches, certaines parcelles sont aujourd’hui appréciées pour leur gage d’équilibre

en argile élevée des sols. Et si c’est un véritable four le jour, l’ombre de la Roche de Solutré arrive tôt le soir en été quand les fins de journée d’août sont brûlantes. Cela permet de préserver un peu plus l’acidité des raisins. Bien sûr, La Côte Rôtie donnera toujours un vin puissant… », décrit Julien Collovray. Pour sa part, le lieu-dit Les Pommards tout proche est exposé au nord. « Un atout de plus en plus intéressan­t ces dernières années, poursuit Pierre-Alexis Terrier. En outre, Les Pommards est le plus argileux de nos parcellair­es (argiles à silex riches en fer et en éclats calcaires). C’est sans doute cette fraîcheur du sol et l’exposition au nord qui confèrent au vin sa tension et ses notes fumées. »

Parfois, c’est au sein d’un même lieu-dit que différente­s personnali­tés se croisent. Le lieu-dit En Crèche en est un bon exemple. Sa forme de cirque engendre des exposition­s à l’est et à l’ouest. Les sols issus de marnes peuvent être assez lourds (surtout dans le fond du cirque) mais ils sont riches en éboulis calcaires. Le caractère chaud lié à la configurat­ion en cirque donne au vin un fruit mûr et de la chair, alors que la fraîcheur des marnes préserve sa tension.

Jean-Guillaume (à g.) et Jean-Philippe Bret vinifient toutes les appellatio­ns du Mâconnais via leur domaine de la Soufrandiè­rfe ou leur négoce Bret Brothers.

Florent Rouve (domaine Rijckaert) travaille une partie du cirque située en milieu de coteau et exposée à l’est qui donne un vin au fruit abouti grâce au caractère solaire du cirque mais à la belle finale saline grâce aux marnes et à l’exposition.

Exposition­s au nord, altitude, découpage de lieux-dits hétérogène­s ou encore vendanges manuelles… Autant de sujets qui sont sur la table à l’heure de la constructi­on du dossier des Premiers crus de Saint-Véran.

(1) Étude des terroirs viticoles de l’aire d’appellatio­n Saint-Véran, Isabelle Letessier, Josselin Marion, Sigales.

(2) La Cave de Prissé ou Vignerons des Terres secrètes est le premier producteur d’AOP Saint-Véran avec 38 % de la production.

SEPTEMBRE 2021 -

Sur un quart de siècle, c’est une constante : quels que soient les niveaux de prix, Haut-Brion et La Mission Haut-Brion, tous deux détenus par le prince du Luxembourg, dominent l’appellatio­n Pessac-Léognan. Mais derrière le duo, les lignes bougent. Présents en 1995, La Tour Haut-Brion et le domaine de Chevalier ont disparu en 2010. Pape CHlaéutm-Brieonnt,Ctlérmoeni­tsièHamut-eBreionn 19d9e5 et 2010, disparaît à son tour en 2021. Car les ambitieux voisins le coiffent au poteau. Notamment Haut-Bailly, et surtout Les Carmes Haut-Brion qui, sous la houlette de son nouveau propriétai­re Patrice Pichet, voit ses ambitions se réaliser. En 2021, il est en troisième position à 152 €. Smith Haut Lafitte et Haut-Bailly (113 €) ferment le classement en 2021. L’écart des prix s’accentue aussi. En 1995, le rapport était de 1 à 3 entre Haut-Brion et le domainHaeu­td-BreioCn hCelévmaen­ltier ; en 202C1a,rmilesest presque de 1 à 6.

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Les familles Collovray et Terrier travaillen­t 63 hectares de vignes en Mâconnais dont 24 en appellatio­n Saint-Véran.
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