La Revue du Vin de France

Hommage aux très grands

- Denis Saverot

Le mois dernier, La RVF fêtait les 25 ans du Guide vert. Bien sûr, nous aurions voulu célébrer ce moment avec tous nos lecteurs, mais voici au moins le récit de cette soirée magique afin que chacun s’y transporte en imaginatio­n. Depuis un quart de siècle, vingt-trois domaines sont parvenus à conserver leurs trois étoiles dans le guide, et c’est avec vingt d’entre eux que nous avons rendu hommage à la beauté des grands vins français.

Ce soir-là, la salle du restaurant la Tour d’Argent était notre galerie des Glaces. Dans ce décor sublime, au-dessus de la Seine scintillan­te dans la nuit, face aux tours de Notre-Dame, une joie enfantine éclairait les visages. Goûter le meursault Clos de la Barre du domaine des Comtes Lafon et le chablis Grand cru Valmur du domaine Raveneau dans le même millésime, 2010, c’est une chance insigne. Humer les nuances de Climens et d’Yquem 2005 côte à côte, c’est une bénédictio­n. Saluer la classe pure de Pauillac, Margaux et Saint-Julien en comparant Lafite, Mouton, Latour, Margaux et Léoville Las Cases, tous servis dans le millésime 1996 et l’on se sent élu des dieux. Et puis ces surprises célestes : le pinot gris SGN Clos Jebsal 1996 apporté par Olivier Humbrecht, monumental, et le pouilly-fuissé Les Hauts des Vignes 2000 de Jean-Marie Guffens. Autant de merveilles partagées sans rivalité ni concurrenc­e, dans la plus parfaite harmonie, juste pour le plaisir.

Voilà ce qui est formidable dans le grand vin : ce passeur de civilisati­on se bonifie avec le temps. Saluer celles et ceux qui savent durer sur le long terme, cet art si difficile, renvoie à son propre cheminemen­t. « Connaître le parcours de chacun, ça compte. Mais ce qui importe le plus dans la vie, c’est de comprendre comment l’histoire de chaque individu impacte son avenir », résumait Maggie Henriquez, présidente de la maison Krug.

Que nous dit cette soirée, que nous révèle-t-elle pour demain ? Sur les vingt domaines célébrés ce soir-là, on comptait onze bordeaux. Eh oui, en

1996, il y a vingt-cinq ans, un domaine triplement étoilé sur deux dans le Guide vert était bordelais. Et aujourd’hui ? Dans la dernière édition, Bordeaux réunit 28 des 106 domaines triplement étoilés, soit un sur quatre. Si Bordeaux reste la région la mieux étoilée, elle ne règne plus de façon aussi absolue.

Le cas de la Champagne est intéressan­t. En 1996, seules deux maisons siégeaient dans l’Olympe du guide, Krug et Bollinger. Aujourd’hui, l’édition 2022 compte neuf “trois étoiles” en Champagne, dont quatre vignerons. Mais à la Tour d’Argent, il suffisait de regoûter La Grande Année 2012 de Bollinger ou le merveilleu­x Krug 2008 pour mesurer, à chaque gorgée, l’influence de ces géants sur le reste de la Champagne, y compris sur les vignerons-artisans célébrés aujourd’hui.

À sa manière, la soirée a mis en lumière le sang fécond qui irrigue le vignoble : les artisans salués par trois étoiles dès la naissance du guide, les Zind Humbrecht, Raveneau, GuffensHey­nen, le domaine Jean-Louis Chave étaient alors minoritair­es face aux grandes maisons patricienn­es. Aujourd’hui, les vignerons-artisans sont les plus nombreux au sein de la famille des “trois étoiles”, plus de 60 sur 108. Et c’est justement cette mixité entre propriétés patricienn­es multisécul­aires et les artisans pleins de sève qui dynamise le vignoble français.

Cette soirée fut encore l’occasion de remarquer des passages de témoin. Pour ceux qui, comme moi, ont toujours connu Aubert de Villaine à la tête du domaine de la Romanée-Conti, rencontrer son neveu et successeur Bertrand de Villaine, est galvanisan­t. D’autant plus en goûtant Échézeaux 2010 ! Comme il est enthousias­mant de lier connaissan­ce avec la nouvelle génération Raveneau, Isabelle et son cousin Maxime, d’échanger avec Édouard Vauthier, l’un des quatre enfants d’Alain Vauthier, de saluer Alexis Leven-Mentzelopo­ulos ou Saskia de Rothschild. Ces enfants de grands noms de la vigne ne se connaissai­ent pas tous entre eux. Ils se sont découvert des ambitions et un enthousias­me communs.

Le voilà, finalement, le message de cette soirée : le meilleur est à venir.

« Cette soirée a mis en lumière le sang fécond qui irrigue le vignoble français »

(voir la liste des domaines, les vins servis ainsi que les photos de la soirée en page 16)

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