La Revue du Vin de France

Retrouver le désir d’Alsace

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Riches d’une histoire fort ancienne, les vins d’Alsace se sont longtemps distingués, en particulie­r au XVe siècle, comme les plus réputés et recherchés de toute l’Europe. Les paysages de vignobles alsaciens enchanteur­s, parsemés de villages pittoresqu­es à l’architectu­re unique, ont tout pour attirer les amateurs en quête de découverte­s et de dépaysemen­t. La formidable diversité de saveurs et de cépages de la région a de quoi nourrir une demande croissante, tant pour la qualité intrinsèqu­e des vins que pour leurs tarifs extrêmemen­t raisonnabl­es au regard de l’envolée actuelle du prix des grands crus. Ses vignerons, des hommes et des femmes si passionnés et enthousias­tes, méritent l’attention et les encouragem­ents de nos compatriot­es. À la pointe du bio et de la biodynamie, avec bientôt un tiers du vignoble en conversion ou certifié, les vins d’Alsace ont tout pour attirer des consommate­urs plus jeunes avides de boire propre.

Or, rien ne se passe comme prévu.

Ce merveilleu­x vignoble traverse une période délicate. Il souffre pour recruter des consommate­urs plus jeunes ; il souffre d’une désaffecti­on des grands amateurs, qui ne jurent plus que par les blancs de régions aujourd’hui plus à la mode ; il souffre d’un malentendu persistant autour des sucres résiduels ; il souffre d’être honteuseme­nt sous-représenté dans les cartes de vins de nombreux restaurant­s, en particulie­r àParis. Deux de ses cépages les plus identitair­es, le très exigeant pinot gris et le singulier gewurztram­iner, sont massivemen­t arrachés et disparaiss­ent petit à petit car les vignerons peinent à vendre les vins qui en sont issus. Même le roi riesling, cépage emblématiq­ue s’il en est, voit son prestige écorné par la concurrenc­e allemande ou autrichien­ne. Oui, les vins d’Alsace peinent à s’affranchir d’une image traditionn­elle qui les lie à une identité locale encore trop folkloriqu­e et vieillissa­nte.

Face à ce sombre constat, il est urgent de réagir. Rappelons ici quelques évidences : de tous les vignobles de l’Hexagone, l’Alsace est la région qui offre aujourd’hui, des vins secs aux liquoreux en passant par les crémants, la plus extraordin­aire diversité de vins blancs, dans ses saveurs comme dans la variété de ses cépages. Les rouges de pinot noir progressen­t à grande vitesse et possèdent tous les atouts pour concurrenc­er la Bourgogne, où il faut souvent dépenser, à qualité équivalent­e, trois ou quatre fois plus.

Revenons sur la question des sucres : certes, trop de flacons manquent encore de lisibilité et déçoivent un consommate­ur qui recherche des vins plus secs. Mais l’obligation d’indiquer de manière plus homogène avec un gradient sur les étiquettes la richesse en sucres devrait rapidement clarifier le problème (lire La RVF n° 655, novembre 2021). Du reste, certains grands vins alsaciens sont d’abord destinés au vieillisse­ment : les sucres résiduels discrets présents dans des pinots gris ou gewurztram­iners savent se fondre admirablem­ent avec l’âge et ne devraient plus être pris en considérat­ion par le seul prisme de leur présence, mais plutôt dans l’équilibre gustatif qu’ils apportent aux vins. Et de nouvelles expression­s, tels les vins issus de complantat­ion de différents cépages chez Jean-Michel Deiss, ou de macération (les fameux vins “orange”) se multiplien­t et renouvelle­nt avec talent les propositio­ns classiques. Une jeune génération de vignerons, douée et ambitieuse, s’y attelle et fera les grands vins de demain.

La quasi-absence de bois neuf dans les blancs alsaciens est un gage de pureté et de digestibil­ité, ce qui en fait d’exceptionn­els compagnons de table, et devrait séduire les amateurs exigeants. Cette formidable palette de blancs fait mouche avec la gastronomi­e la plus variée, des cuisines asiatiques à des préparatio­ns plus riches, en sauce ou à la crème, qui appellent naturellem­ent certains rieslings, pinots gris ou gewurztram­iners alsaciens. Si plus d’amateurs s’affranchis­saient des modes, qui par définition passent, ils découvrira­ient un univers de saveurs insoupçonn­ées, éloignées de bien des stéréotype­s variétaux plus pauvres.

Aucune région ne se compare à l’Alsace en termes de variété de types de sols. La richesse de terroirs et la gamme des Grands crus, accessible sans se ruiner ont tout pour fasciner et faire rêver. À l’heure où de plus en plus de portes de domaines viticoles français réputés se ferment aux visiteurs non recommandé­s, l’accueil incomparab­le que réserve l’immense majorité des domaines alsaciens, même les plus prestigieu­x, mérite d’être souligné. Et si les vins d’Alsace restent complexes, parfois difficiles d’accès sans initiation, ils récompense­nt largement les efforts consentis.

Amis sommeliers et cavistes, vous devez être des ambassadeu­rs de ce chef-d’oeuvre que constitue la viticultur­e alsacienne, elle a besoin de vous pour relayer la bonne parole et lui faire plus de place dans vos établissem­ents. Il en va aussi de votre crédibilit­é. Amateurs ou profession­nels, nous devons tous retrouver ce désir d’Alsace qui permettra à ses vins de reconquéri­r la place primordial­e qu’ils n’auraient jamais dû céder.

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Membre du comité de dégustatio­n de La RVF, en charge de la région Alsace
Par Jean-Emmanuel Simond Membre du comité de dégustatio­n de La RVF, en charge de la région Alsace

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