Castillon-Côtes de Bordeaux
puissance et fraîcheur. Un mariage cépages-terroirs précis lui permet de profiter des atouts de chaque parcelle. « Je préfère généralement positionner le merlot sur des sols assez peu profonds sur le plateau calcaire car les pH des vins restent bas. Et sur les sols un peu plus profonds sur calcaire, le cabernet franc révèle une complexité intéressante », confie-t-il. Ainsi, le vin du château d’Aiguilhe, 80 % merlot et 20 % cabernet franc, provient pour deux tiers du plateau calcaire et pour un tiers de terres plus profondes.
Christian Sabaté (château Fontbaude, Saint-Magne-de-Castillon) découpe son vignoble de haut en bas pour construire sa gamme de vins. « En haut, sur le plateau calcaire, les sols sont minces, la maturation des baies peut être poussée et de là vient notre vin le plus concentré, L’Âme de Fontbaude, décrit le président du Syndicat des vignerons de Castillon. Le versant du coteau, un peu plus argileux, donne des vins plus fruités assemblés avec un lot issu du plateau dans la Sélection vieilles vignes. » Sur le pied de coteau, plus limoneux et moins drainant, les raisins sont ramassés plus tôt et donnent un vin plus simple au fruit croquant, Tradition.
Pour sa part, Louis Mitjavile (domaine de l’Aurage, Saint-Gènes-de-Castillon) a choisi d’exprimer la puissance du terroir de Castillon en révélant l’expression d’un lieu dans son ensemble. « Nous sommes ici en haut du dôme sur lequel se trouve le vignoble de l’Aurage et l’on peut observer les 22 hectares du domaine. Il est important pour moi d’exprimer l’âme du site marquée par le millésime. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les presses et les vins de
Les vignerons les plus engagés accomplissent un travail de fond, notamment sur le matériel végétal
jeunes vignes ont toute leur place dans l’assemblage. Mon objectif : récolter un fruit très mûr sans perdre son éclat aromatique », confie le vigneron.
LE RÔLE ESSENTIEL DE L’ARGILE
Christine Derenoncourt aborde ses diverses parcelles du domaine de l’A comme autant de personnalités : « Des ambiances, des courbes, des odeurs, des sols plus froids et durs, d’autres plus tendres et friables ». 20 % du vignoble se trouve sur le plateau, 60 % en coteaux argilo-calcaires exposés au sud et à l’est. Le reste en bas de coteau molassique. « Nous tenons à cette mosaïque de sols qui correspond à une palette de touchers de bouche. C’est un gage d’équilibre. Les argiles froides sont intéressantes les années solaires, même s’il faut être attentif aux tanins carrés qu’ils peuvent conférer au vin. L’argile joue un rôle essentiel car il donne au vin une attaque large. Puis, on trouve le milieu de bouche jaillissant du calcaire qui allonge le vin et lui offre une finale saline et fraîche », souligne-t-elle.
Maîtriser la palette des terroirs de Castillon permet d’obtenir des vins harmonieux, mais il est important qu’ils reflètent le millésime, et donc leur parcours de vie. Ainsi, en 2017, le gel a écarté les bas de coteaux les plus argileux du domaine de l’A. Le vin vient donc du plateau et des hauts de coteau. C’est un vin de calcaire, plus salin, plus tendu, moins large que d’habitude. Le 2015 est un vin solaire équilibré par une fraîcheur préservée. Le 2014 est tout en équilibre, élégant et droit.
CHOISIR LE MATÉRIEL VÉGÉTAL
Pour exprimer la richesse du terroir de Castillon avec justesse, les vignerons les plus engagés accomplissent un travail de fond. Notamment sur le matériel végétal. D’abord, il y a de moins en moins de cabernet-sauvignon planté dans les zones les plus froides, les moins propices à leur maturation, hérités des années 1960 et 1970.
Il y a ensuite la recherche et la préservation du meilleur matériel végétal. Un véritable engagement pour Stephan
von Neipperg qui a sélectionné des plants pendant vingt ans (300 individus de merlot et 350 de cabernet franc) et constitué son propre conservatoire il y a deux ans. Avec notamment les meilleurs cabernets francs d’une parcelle du château de 1950 qu’il affectionne particulièrement et les meilleurs merlots issus des plus vieilles vignes de La Mondotte, à Saint-Émilion, et du château d’Aiguilhe. « Le matériel végétal est essentiel, car si la vigne n’est pas équilibrée dans un sol vivant, la maturité phénolique ne peut être aboutie », insiste-t-il.
Au domaine de l’Aurage, 12 hectares ont été replantés depuis douze ans pour que la qualité du vignoble soit toujours plus homogène. Le merlot ultra-dominant ne perd pas de place et représente 96 % de l’encépagement. « Notre terroir argileux et relativement tardif convient parfaitement bien au merlot », rappelle Louis Mitjavile.
LE BEL AVENIR DU MERLOT
Malgré le changement climatique et même si les vignerons s’intéressent à d’autres cépages, le merlot a encore ici un bel avenir. « Il me convient d’autant plus que le domaine ne compte pas de côte sud ! », lance Thierry Valette (Clos Puy Arnaud).
Pour autant, le vigneron est toujours en mouvement. Ces dernières années, il a planté un peu plus de cabernet franc sur des corniches calcaires précoces car exposées à l’ouest et il fait passer le cabernet-sauvignon de 3 à 5 % en en plantant sur une côte exposée au sud-est. Il a par ailleurs réintroduit il y a deux ans un peu de castet et de manseng noir…
Chaque domaine exprime donc ses terroirs avec sa sensibilité et selon son histoire. Des histoires à découvrir absolument pour prendre la mesure (ou ne pas perdre de vue) la richesse des terroirs de Bordeaux, au-delà même des classements historiques.
(*) Temperature-based zoning of the Bordeaux wine region, Benjamin Bois, Institut des sciences de la vigne et du vin, Université de Bordeaux, 2018.