Les actus du vin
La demande de vins écoresponsables outre-Atlantique et la chasse au carbone relancent le transport par voilier cargo, ultra-écolo. Vignerons, négociants et grands groupes se lancent sur les flots.
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Des palettes de caisses de vin délicatement embarquées dans les cales d’un voilier. La scène, cocasse, se déroule le 10 novembre 2021 dans le port de Saint-Malo. Ce jour-là, 10 000 bouteilles sont installées à bord du Grain de Sail. Direction la baie de New York, aux États-Unis.
Un nouveau coup marketing ? Pas que. Le transport par voilier cargo est en train de devenir une réponse au développement de la demande de vins écoresponsables aux États-Unis. Comprenez par là que produire bio ne suffit plus aux yeux de certains revendeurs et consommateurs américains.
En effet, le bilan carbone du transport est le même pour tous les vins : déplorable. En 2012, le Comité interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB) le plaçait en deuxième position des postes émetteurs de CO2, après la confection de la bouteille de verre, avec 172 000 tonnes ! Passer au transport par voilier, c’est 90 % de carbone en moins !
« Nous sommes un domaine certifié bio conscient qu’on peut encore améliorer notre impact sur l’environnement », confirme Robert Eden, winemaker et copropriétaire de château Maris, dans le Languedoc, qui a confié 1 200 bouteilles à l’équipage de Grain de Sail. Un premier pas pour celui qui exporte environ 35 % de sa production aux États-Unis, soit 180 000 bouteilles par an.
LES MAISONS DE CHAMPAGNE S’Y METTENT
Signe des temps, de gros acteurs du marché ont embarqué dans l’aventure. Loic Morvan, supply chain director de Martell Mumm Perrier-Joüet chez Pernod Ricard, s’est ainsi engagé avec TOWT (Transocéanique wind transport) sur trois voyages par an au départ du Havre vers les États-Unis à partir de 2023 : soit 400 000 bouteilles. La maison Drappier, qui a fait du zéro carbone son cheval de bataille, devrait embarquer plus de 30 000 bouteilles, et le négociant écoresponsable bordelais EthicDrinks, plus de 100 000 bouteilles.
Et après ces tests ? « J’aimerais arrêter le transport traditionnel, assure Robert Eden. Exporter tous nos vins à la voile à l’horizon 2030 n’est pas utopique. » Loic Morvan veut lui aussi y croire : « Pour atteindre les objectifs de notre plan de développement durable et responsable 2030, et notamment le zéro carbone, il faut identifier des leviers “transformants”, le transport par voilier peut en être un. C’est aujourd’hui viable économiquement et sans impact sur le consommateur ».
Matthieu Riou, directeur export chez Grain de Sail, confirme que le transport par voilier a aujourd’hui le vent en poupe : « Pendant deux ans, j’ai fait des salons, des dégustations… Les vignerons trouvaient le projet sympa mais n’y ●● ●
●● ● croyaient pas. Aujourd’hui, ils sont de plus en plus nombreux à m’appeler, dont de très beaux domaines ». Chez TOWT, qui veut développer le label Anemos (du grec vent) pour ses cargaisons, Olivier Tanguy, responsable commercial, explique : « 30 à 40 % du volume total des clients sont dans le monde du vin et du champagne, le reste étant le chocolat, le café, le rhum ».
DES VOILIERS GÉANTS POUR ASSURER L’AVENIR DU TRANSPORT
Et les carnets de commande se remplissent. Pour répondre à la demande, Grain de Sail et TOWT se lancent dans la construction de bateaux plus performants. « Aujourd’hui, notre bateau fait 23 mètres de long et peut contenir 23 palettes. En 2023, notre bateau fera 50 mètres, contiendra jusqu’à 250 palettes ! », annonce Matthieu Riou. TOWT prévoit la construction de quatre bateaux de près de 80 mètres. 3,7 millions d’intentions d’investissement ont été recueillis via la plateforme de financement participatif Lita. « En un voyage, nous ferons ce que nous avons fait en dix ans », s’enthousiasme Ilan Vermeren, responsable exploitation et logistique chez TOWT.
Ces nouveaux bateaux seront de vraies caves flottantes, inspirées des bateaux de pêche. Coque en aluminium qui protège des changements de température brusques, 30 centimètres de mousse projetée contre les parois, des couvertures thermiques sur les palettes, une climatisation alimentée par des panneaux solaires, des mini-éoliennes ou des hélices connectées à un alternateur pour produire de l’énergie… Au final, la certitude que les vins restent entre 18 et 19° C pendant toute la durée de la traversée.
Dernier argument en faveur de ce mode de transport. En débarquant la marchandise dans de petits ports tel que Port Elizabeth, dans le New Jersey, il contourne la congestion des grands ports à conteneurs et la flambée du coût du fret. Selon le cabinet d’études maritimes Drewry, le taux de fret maritime pour le transport de conteneurs devrait augmenter de 126 % en 2021 ! De quoi gonfler encore un peu plus les voiles de ce transport zéro carbone.
C’est une histoire de voisins qui tourne au vinaigre au coeur du plateau de Saint-Émilion. En pleine période de renouvellement du classement.
Tout démarre en octobre 2020 : le Clos Fourtet, Premier Grand cru classé dirigé par Matthieu Cuvelier, entre en négociation exclusive avec la famille propriétaire du château Beauséjour Héritiers Duffau-Lagarrosse qui souhaite vendre. Un accord est passé, le prix d’achat est convenu entre les deux parties. Mais la vente doit encore être validée par la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural). Pour optimiser son dossier et s’assurer les bonnes grâces de la Safer, le Clos Fourtet recrute un jeune vigneron qui dirigera le domaine.
LES ABUS DE LA SAFER ?
« N’étant pas au fait du fonctionnement de la Safer, nous ne pensions pas que certains allaient passer dans notre dos alors que nous nous étions mis d’accord avec les vendeurs. La famille de Boüard, propriétaire d’Angélus, qui avait été écartée de la négociation, a ainsi profité de l’étape Safer pour revenir dans le jeu avec une offre de rachat », explique Matthieu Cuvelier.
Mais c’est un troisième acteur, la branche minoritaire de la famille Duffau-Lagarrosse, qui va déjouer l’accord établi entre la famille Cuvelier et les vendeurs. Cette branche minoritaire s’opposait initialement à la vente. Mais l’un de ses membres, la fille de Vincent Duffau-Lagarrosse, Josephine, s’est tardivement associée à la famille CourtinClarins (la marque de cosmétiques) pour doubler tout le monde et remporter l’affaire, au prix de 75 millions d’euros pour les 6,5 hectares de ce Premier cru classé.
FÉVRIER 2022 -
Propriétaire du Clos Fourtet, Matthieu Cuvelier est bien décidé à aller au bout de sa démarche.
« Dans ce dossier, nous avons été à chaque étape écartés par la Safer, au profit d’autres acteurs. À nos yeux, il y a eu irrégularité de traitement et nous le démontrerons en attaquant la Safer en justice », poursuit Matthieu Cuvelier.
Plainte a été déposée, avec une première audience en décembre dernier au tribunal de Libourne. « Beaucoup de vignerons nous soutiennent, qui se plaignent eux aussi de la gestion très opaque de certains dossiers par la Safer. Cela peut faire jurisprudence. À défaut de récupérer la propriété, nous nous battons pour les autres victimes de ces abus », conclut Matthieu Cuvelier, prêt à un long combat. De son côté, le directeur général de la Safer de NouvelleAquitaine, Philippe Tuzelet, s’est refusé à tout commentaire.