La mémoire de la mer
Adossée aux reliefs du Haut-Languedoc, l’aire d’appellation s’étend sur des sédiments marins qui façonnent l’identité des vins de l’appellation.
C’est d’abord une histoire géologique que partagent les parcelles viticoles de Faugères. Celle d’anciens sédiments marins sabloargileux transformés en schistes et grès il y a 350 millions d’années par les fortes pressions et températures dues aux mouvements tectoniques. Plissés, puis érodés et lacérés par les vents et les eaux, ils dessinent aujourd’hui un paysage de collines, de replats et de petites vallées étroites. Mais si la géologie de l’aire d’AOP est homogène, il n’en va pas de même pour la pédologie. En effet, l’altération des schistes crée des sols variables selon la topographie, le pendage des roches (orientation des couches géologiques), leur degré d’altération… En outre, l’aire présente des îlots de marnes, calcaires, basaltes et conglomérats.
L’ATOUT SCHISTE
Le vignoble de Faugères domine la plaine de Béziers qui s’étend jusqu’à la Méditerranée. Il est adossé aux reliefs calcaires du Haut-Languedoc culminant à 702 mètres d’altitude. Majoritairement tourné vers le sud et le sud-est, il s’étage de 95 à 350 mètres, à l’abri des excès des vents du nord, Tramontane et Mistral. Les parcelles situées au nord-ouest de l’aire d’appellation ont souvent de fortes pentes quand celles de la partie sud sont plus basses et planes.
« La majorité des vignes se trouve entre 150 et 300 mètres d’altitude sur une grande étendue de schistes et de grès du Viséen, en coteaux, découpés par de petits vallons. Elles poussent sur un sol particulièrement peu épais et caillouteux. Les vignes les plus hautes, situées au pied des Monts de Faugères, sont plantées sur des sols souvent parsemés d’éboulis calcaires de versant et sur des replats, vestiges d’anciens glacis (secteur de Caussiniojouls) », décrit Jean-Claude Bousquet, géologue et spécialiste des terroirs languedociens.
Dans la plaine de Laurens et Autignac, les sols, aussi issus de schistes gréseux, sont plus limoneux. Le potentiel viticole des parcelles varie selon le caractère drainant des sols. Ainsi, le comportement hydrique des sols varie d’une zone à l’autre. Sujet particulièrement important en terre méditerranéenne (*), marquée par des étés secs et chauds qui peuvent provoquer un stress hydrique de la vigne et des vents puissants qui peuvent dessécher les baies en fin de cycle. Autant d’agressions qui bloquent ou déséquilibrent la maturation des raisins (l’alcool poten
Garrigue, bois, murets et capitelles marquent le paysage viticole de Faugères.
tiel monte alors que la maturation phénolique ne progresse pas).
Les sols schisteux typiques de l’aire d’AOP sont un atout pour les vignes lorsqu’il s’agit de résister à la sécheresse estivale. Leur organisation en feuillets, si elle n’est pas horizontale, permet aux racines des vignes de se faufiler au travers de la roche pour aller chercher de l’eau en profondeur. « Même s’il y a peu de terre au-dessus de la roche mère, le schiste dégradé permet le plus souvent de préserver une réserve hydrique suffisante pour la vigne », indique Brigitte Chevalier (domaine de Cébène).
Pour Didier Barral (domaine Léon Barral), la vigne ne souffre pas de manque d’eau si elle pousse dans un sol protégé et entretenu. C’est pourquoi le vigneron ne laboure plus depuis plus de vingt ans et apporte beaucoup de matière organique (bois broyé, marc et un peu de fumier). Et veille à la formation d’un paillage naturel issu des nombreuses plantes qui, aplanies, se mêlent aux
débris végétaux. « Il s’agit d’aller vers un sol forestier. C’est la meilleure protection qui soit pour le sol comme pour la microfaune et flore qu’il abrite. Alors, l’eau des sols ne s’évapore plus autant l’été et les températures y sont plus tempérées », souligne-t-il. Dans cet équilibre, le rôle des animaux est central. Et en premier lieu celui des bovins. « Ils enrichissent le milieu de leurs bouses, véritables écosystèmes en soi, favorisent la multiplication des vers de terre, l’irrégularité de la surface du sol et une germination riche, », explique Didier Barral. Ainsi, l’hiver, les bovins de la famille Barral (cinquante-huit têtes !) pâturent successivement dans toutes les parcelles du domaine. La plantation de 7 000 arbres autour des vignes participe de cette recherche de protection et d’équilibre du vignoble.
Une adéquation fine entre terroir et cépages favorise la résistance des vignes
CAPRICIEUX MOURVÈDRE
Une adéquation fine entre les terroirs et les cépages favorise aussi la résistance des vignes. Si grenache, carignan ou cinsault sont adaptés aux excès du
FÉVRIER 2022 -
climat méditerranéen, les cépages tels que la syrah et le mourvèdre ne supportent pas le manque d’eau, et donc les terres les plus pauvres sans capacité de réserve hydrique. « Nous avons planté du mourvèdre sur des sols sur schistes dont le pendage est vertical, raconte Didier Barral. Le résultat est très intéressant et se fait moins attendre que pour les autres mourvèdres. »
Le mourvèdre est obligatoire à Faugères (5 % de l’encépagement minimum), mais il n’est pas toujours plébiscité car c’est un cépage difficile à cultiver comme à vinifier. Pourtant, les schistes lui vont très bien… Brigitte Chevalier est très attachée au mouvèdre sur schistes : « Le mourvèdre s’exprime merveilleusement bien sur nos terres schisteuses, exposées au sud mais suffisamment hautes en altitude. C’est pourquoi il représente chez nous 20 % de l’encépagement ». Pour Brigitte Chevalier, l’exposition des parcelles joue beaucoup sur l’équilibre des vins. « Les six hectares de vignes situés autour de la cave sont majoritairement exposés au nord et reçoivent beaucoup d’air frais des reliefs du parc naturel régional du Haut-Languedoc. Une fraîcheur qui joue un rôle très important dans nos vins », note-t-elle.
C’est pour trouver cette fraîcheur qu’Adèle Arnaud et Olivier Gil (Mas Lou) ont choisi des vignes en altitude : sept hectares à Fos, à 400 mètres d’altitude, sur des sols schisteux à lentilles de basalte. « Nous récoltons parfois jusqu’à quatre semaines plus tard qu’en bas, à Autignac. Pourtant, les vignes sont exposées au sud et au sud-ouest », souligne la jeune vigneronne.
ENTRE CHAUD ET FROID
Il est passionnant de jouer avec les nuances du terroir de Faugères. Catherine Roque (Mas d’Alezon) aime exprimer le côté froid comme le côté chaud de l’appellation. Sans aucune concession pour l’équilibre de ses vins :
« Nous récoltons généralement le mourvèdre de Montfalette (lieu-dit Soumartre) la deuxième semaine d’octobre. C’est un terroir froid situé tout au nord de l’aire d’AOP, à 400 mètres d’altitude, dans une cuvette dont les versants sont orientés au sud et à l’est, aux sols argileux issus de schistes ardoisiers. Les vignes n’y manquent pas d’eau car les schistes très dégradés constituent une bonne réserve hydrique. C’est néanmoins un terroir exigeant sur lequel les raisins se font attendre et l’on craint toujours de subir les fortes pluies d’équinoxe. Mais quand tout va bien, la récompense est là car le vin s’exprime avec beaucoup de finesse ! ».
Côté sud, à Coste Caude, tout près du village de Faugères, l’environnement est chaud. Les parcelles sont plus basses et à l’abri du vent au sein d’un clos. Les schistes, plus massifs, ne sont pas si dégradés, les sols sont donc plus chauds. De là vient la cuvée Presbytère du domaine, dont le caractère sudiste est équilibré par la sobriété et l’allonge associées aux terres de schiste. Cet assemblage de grenache noir, cinsault, lledoner pelut et carignan rappelle aussi combien les cépages traditionnels du sud sont adaptés à la chaleur et à la sécheresse méditerranéennes.
« Il est évident que les cépages traditionnels sont une excellente réponse au réchauffement climatique, reconnaît Nathalie Caumette, vigneronne (domaine de l’Ancienne Mercerie) et présidente de l’appellation. Le carignan est d’ailleurs obligatoire dans l’AOP depuis 2020 (10 à 40 %
Les vignes en gobelet, une arme contre les coups de chaleur
de l’encépagement). Ces cépages peuvent aussi répondre aux problématiques de rendements lorsqu’ils sont trop faibles. Le cinsault, le ribeyrenc ou encore l’aramon sont très bien adaptés à notre environnement et ils assurent à la fois un rendement régulier et des degrés modérés. Ils joueront donc sans doute un vrai rôle dans les années à venir. » Côté blanc, Catherine Roque (Mas d’Alezon) est particulièrement séduite par la clairette qu’elle sublime dans son vin Cabretta, vibrant et profond. Un cépage qui n’est aujourd’hui autorisé qu’à 10 % maximum de l’encépagement.
UNE DYNAMIQUE COLLECTIVE
Le mode de conduite traditionnel en gobelet est également une arme contre certaines conséquences du dérèglement climatique, notamment les coups de chaleur. Beaucoup de plantations se font aujourd’hui sur fil car cela facilite la mécanisation. Mais un tiers du vignoble reste conduit en gobelet traditionnel. « Le gobelet est ici idéal, c’est pourquoi même nos jeunes vignes sont conduites en gobelet traditionnel, sauf la syrah et la roussanne, au port retombant, qui ont le plus souvent besoin d’un palissage », précise le vigneron François Caumette (domaine de l’Ancienne Mercerie). « Le gobelet est très utile car il protège les raisins du soleil, mais pas seulement ! Il protège aussi les sols qui souffrent beaucoup de l’érosion due au soleil », renchérit Didier Barral.
Nathalie Caumette prend le problème du dérèglement climatique très au sérieux. « Depuis 2018, nous avons dû faire face à des agressions exceptionnelles : de très fortes pressions de mildiou, des coups de chaleur extrême et des gelées radicales », rappelle la présidente de l’appellation. Dans ce contexte, elle tient autant à préserver la richesse naturelle de l’environnement qu’à bénéficier des avancées de la recherche (par exemple sur les cépages résistants). Ainsi, le cahier des charges de l’AOP, qui comporte des mesures agro-environnementales depuis 2011, est amené à changer pour gagner en liberté sur les cépages et imposer davantage d’obligations agro-environnementales. Le développement du projet “Grands vins de nature”, qui fédère les vignerons de Faugères autour de la préservation de leur environnement, va dans le sens de l’Histoire. Cette dynamique collective continuera sans aucun doute à attirer passionnés et jeunes vignerons sur le territoire.
(*) Le climat est marqué par de forts vents du nord, des pluies concentrées en automne et au printemps avec des variations interannuelles fortes (730 mm par an en moyenne), des orages estivaux, une température moyenne annuelle de 15,4° C.
Seul Premier cru classé supérieur en 1855, château d’Yquem conserve son leadership sur le marché des enchères. Pour autant, son cours a été multiplié seulement par 2,3 en vingt-six ans, deux fois moins que d’autres Premiers crus classés en 1855 de Bordeaux.
Le cas du millésime 2005 est particulier. Sorti à plus de 600 € en primeur (plus de trois fois le prix du 2004), le marché a progressivement corrigé son cours, qui s’établit aujourd’hui à 300 €.
Fargues et Climens se sont longtemps disputés la deuxième position, avant d’être devancés par L’Extravagant du château Doisy Daëne. Cette cuvée conditionnée en demi-bouteille tutoie aujourd’hui les cours d’Yquem en bouteille dans le millésime 2015. À volume équivalent, L’Extravagant est donc le sauternes le plus cher de ce classement. La disparition de Denis Dubourdieu y contribue sans doute. Château Gilette, “l’antiquaire de Sauternes”, n’apparaît pas ici. Pourtant, sa cuvée Crème de Tête 1937 a récemment été adjugée 697 €.