La Revue du Vin de France

Vertus du temps long sous neuf mètres de roche

- Denis Saverot

Entre 1998 et 2004, le caviste Philippe Catusse a vécu de près ce que l’on a appelé la révolution du Languedoc. En quelques millésimes décisifs, une poignée de vignerons démontrère­nt au monde que le Minervois, Faugères, Jonquières ou les Corbières pouvaient produire des vins exceptionn­els.

Philippe Catusse le comprit avant tout le monde. À Béziers, dans son Clos Saint Gabriel planté le long du canal du Midi, il mit de côté ses vins favoris en se promettant de les regoûter plus tard, à maturité. La Voulte Gasparets Cuvée Romain Pauc 2000, Aupilhac 1999, Estanilles 2000, Mas Jullien 1999 et quelques glorieux roussillon­s tels Coume Pascole 1999 du domaine de La Rectorie… Que du bon, tout en magnum.

On sait l’importance du vieillisse­ment dans le destin d’un beau flacon. Pour respecter ces témoins d’un changement d’ère, Catusse enfourna un jour ses magnums dans le coffre de sa voiture puis se mit à rouler vers le nord, à la recherche de l’une de ces caves naturelles exceptionn­elles que l’on trouve dans la Vallée de la Loire. Dans le sud de la Touraine, au PetitPress­igny, il s’arrêta chez son copain le cuisinier Jacky Dallais.

Là, sous neuf mètres de roche, à une températur­e constante de 11° C été comme hiver, et dans 90 % d’hygrométri­e, il oublia ses magnums pendant vingt ans.

Et le 18 mars dernier, notre caviste reprit la route du Petit-Pressigny où la maison Dallais, toujours alerte, est désormais tenue par Fabrice, le fils de Jacky. Catusse est redescendu dans la cave-cathédrale, il a retrouvé et exhumé ses précieux flacons et les a servis à l’occasion d’un repas. Et quel repas !

Fabrice Dallais avait sorti une cuisine de feu, variée, éclatante : laitance de carpe de la Brenne, galettes de pied de porc croustilla­nte, sandre du bassin de la Loire sauce écrevisse vin rouge, pigeon de Racan rôti… Pas étonnant que des fines gueules comme Antoine Pétrus, Éric Beaumard, Olivier Poussier y fassent étape chaque année.

Et les vins ? Eh bien, l’antique cave de Touraine a bien servi le Languedoc. Robes lumineuses et profondes, parfums suaves : aucun des vins n’est apparu fatigué. Ce fut un festival. Le Clos Marie cuvée Simon 2000 a ébloui l’assistance par son poivré somptueux, ses tanins finement décomposés, sa longueur. Aupilhac 1999, avec son milieu de bouche salivant, a fait merveille sur le gluant de la galette de pied de porc, foie gras et jus acidulé truffé. Merci Sylvain Fadat ! Et puis il y avait Romain Pauc 2000. On n’a pas tous les jours l’occasion de goûter la grande cuvée de La Voulte Gasparets avec tant de recul. Le vin était tellurique, profond. Bon dieu, c’était bon !

On fêta dignement le Languedoc ce soir-là. Avec des surprises : la définition magistrale de la cuvée Lo Vièlh 2000 de Nicole et John Bojanowski (Clos du Gravillas), l’élégance d’Estanilles 2000 de Michel Louison, ce pionnier des syrahs pures. Mas Jullien 1999 étonna lui aussi : le vin nous est apparu trop jeune, timide dans le verre après avoir pourtant attendu sous terre le temps d’une génération !

« Je n’ai pas gardé assez de blancs hélas… À l’époque, nous étions dans l’émotion des rouges », regretta Philippe Catusse, toujours modeste. Et il est vrai que la splendide cuvée Altitude 432 du domaine Laguerre (2004), avec sa réduction fine à la Coche-Dury, préfigurai­t l’avènement de ces blancs qui nous enchantent aujourd’hui.

Un mot sur une surprise : Léon Barral Valinière 1996. La seule robe évoluée de la soirée, presque tuilée. Porté par une acidité haute, le vin avait pris une silhouette de madère, mais au sens noble : étiré, tous ses tanins gommés. Avec lui, nous sommes entrés dans une autre galaxie.

C’est pour vivre des moments comme celui-ci que l’on aime le vin. Merci cher Philippe Catusse, merci le Languedoc sur lequel nous reviendron­s dès le mois prochain. En attendant, place aux cabernets francs de Loire et aux cépages rares redécouver­ts dans les Alpes. À tous, bonnes dégustatio­ns.

Là, dans la cavecathéd­rale, Philippe Catusse oublia ses magnums du Languedoc pendant vingt ans.

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