La Revue du Vin de France

« Ici, les gens, les clients sentent une odeur de liberté »

- Conversion bio, massales, greffes, lutte contre la sécheresse, Raimond de Villeneuve a beaucoup testé au château de Roquefort, au-dessus de Cassis. Le voilà qui vend après trente ans de bataille. Propos recueillis par Alexis Goujard et Denis Saverot, phot

Vous cédez votre propriété, 27 hectares de bonnes vignes au milieu de 300 hectares de pinèdes près de Cassis. Pourquoi ?

Je règle une affaire familiale. Mes deux soeurs ont respective­ment 20 % du domaine. Je n’ai pas les moyens de racheter leurs parts. Et je préfère les défrayer à hauteur d’un prix de vente plutôt qu’à hauteur d’autre chose qui serait forcément plus difficile à déterminer. On ne peut pas tout faire, conduire une exploitati­on et racheter 40 % de sa valeur, c’est compliqué. Et puis je n’ai pas de succession à proprement parler. Ma fille Anastasia aime le vin mais s’est engagée dans une autre voie.

Qui rachète le château ?

Cédric et Violaine Menet, un couple lié à la famille Mulliez (propriétai­re des marques Auchan, Leroy Merlin, Decathlon…, ndlr). Ils s’installent en France et ont eu un coup de coeur.

Le château de Roquefort a longtemps produit 65 % de rouge. L’an passé, c’était 50 % de rosé. Que s’est-il passé ?

C’est une question de trésorerie. J’ai répondu à une demande. On ne peut pas être plus catholique que le pape. Au départ, je n’avais aucune ambition en rosé. Par la suite, j’ai trouvé un intérêt particulie­r à faire du rosé en tant que vin, en dehors du “rosé business” abominable que nous connaisson­s. Sortir 100 000 bouteilles d’un rosé de bon niveau en une seule cuvée, c’est plus difficile que de monter une cuvée de course.

Le rosé ne peut donc pas restituer un terroir ?

Il le fait, mais d’une façon, disons, édulcorée. Bon, ici, on ne fait pas un rosé de mode. Le nôtre a sa trame, ce côté granuleux, assez calcaire, il n’est pas amylique (les arômes de bonbon anglais, ndlr). C’est un vin. Mais l’expression la plus pure du lieu, je l’ai trouvée en vinifiant des blancs et des rouges.

Mais beaucoup de gens aiment le rosé, non ?

Le rosé échappe à l’image du vin, on le sait. C’est une boisson décomplexé­e, l’alcool y est un peu gommé. Ce vin colle à la morale dominante actuelle : « Il ne faut pas boire, pas fumer… ».

La demande de vins rouges provençaux est en chute libre. Le rosé sauve-t-il la Provence ?

Certaineme­nt. Le cours du vrac reste très bon, entre 250 et 300 euros l’hectolitre. Il y a peu, le rosé bio est monté à 350 euros l’hecto. Quand on fait du provence rosé, le rendement à l’hectare est excellent. Résultat, la Provence est aujourd’hui suréquipée en technologi­e de cave. On voit des installati­ons hallucinan­tes.

Et au château de Roquefort ?

J’ai une cave simple : le contrôle du chaud et du froid, je peux presser à des températur­es sympas, entre 10° C et 12° C, parfois 8° C. C’est important. Mais on n’est pas une usine. On fait du vin de façon artisanale. J’ai aussi adapté le vin à la cave. Je n’ai pas toujours fait tout ce que je voulais.

Jusqu’à quel point l’évolution climatique complique-t-elle la production de vins rouges en Provence ?

Le profil des vins a changé. La maturité est plus précoce. La définition des tanins n’est plus la même. Ils sont devenus plus grossiers, avec tout autant d’acidité qu’avant. Il faut essayer de trouver un équilibre. Face à ces nouvelles donnes, un temps d’adaptation a été nécessaire.

On goûte la cuvée Les Mûres 2020, sa chair allongée, cette belle suavité… Vous avez trouvé le bon équilibre ?

Au début, je n’ai pas su répondre à cette évolution. J’ai produit des vins qui ne pouvaient pas être bus avant cinq à six ans de bouteille. À l’origine, le vin rouge provençal est plutôt austère. La Provence est comme ça. Et puis un jour, j’ai retourné ma chemise. J’ai voulu retrouver de la gourmandis­e, j’ai mis au point une autre recette pour le rouge. En Provence, on nous

 ?? ?? Pour Raimond de Villeneuve, les plus grands vins portent en eux le marqueur de l’eau, « une circulatio­n quelque chose de vertical ».
Pour Raimond de Villeneuve, les plus grands vins portent en eux le marqueur de l’eau, « une circulatio­n quelque chose de vertical ».

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