Les actus du vin
Avec deux Premiers Grands crus classés A, douze Premiers Grands crus classés B et 71 Grands crus classés, Saint-Émilion se dote d’un palmarès consensuel malgré la défection d’Ausone, Cheval Blanc, Angélus et La Gaffelière.
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Saint-Émilion, le 18 septembre dernier : ciel bleu, chaleur estivale, douceur girondine. C’est le ban des vendanges et il règne dans les douves du village comme un climat de pax romana. La publication dix jours plus tôt des résultats du classement des Grands crus de Saint-Émilion semble avoir apaisé les tensions.
C’est comme si l’on avait oublié les dix années de procédures judiciaires contre le précédent classement, la condamnation d’Hubert de Boüard (Angélus) pour prise illégale d’intérêts et le refus des châteaux Ausone, Cheval Blanc, Angélus et La Gaffelière de participer au classement 2022. Autant de maux et querelles intestines qui gangrenaient jusque-là la vie du village. En tout cas, au vu des résultats, il semble que tout ait été entrepris pour éviter une lutte des classes entre les crus.
Au sommet de la hiérarchie, château Figeac rejoint château Pavie au rang de Premier Grand cru classé A. Une promotion largement méritée pour ce domaine emblématique qui aurait dû être distingué il y a plusieurs décennies déjà.
DEUX PREMIERS A
Ironie de l’histoire, les châteaux Ausone et Cheval Blanc avaient décidé de quitter le classement 2022 reprochant, entre autres, à celui-ci d’avoir distingué quatre Premiers A au lieu de deux, jusque-là. Visiblement, l’édition 2022 les a entendus en ne promouvant que deux Premiers A. Le château Angélus ayant lui aussi décidé de se retirer en janvier dernier, la propriété disparaît de ce nouveau classement.
Ceux qui ont claqué la porte ont-ils bien fait ? Leur retrait les libère de plusieurs contraintes. S’ils le souhaitent, Ausone, Cheval Blanc et Angélus vont désormais pouvoir s’agrandir, ce qui est sévèrement limité pour les crus classés. C’est la stratégie suivie par Quintus, la propriété de Robert de Luxembourg (château Haut-Brion), qui à coups d’acquisitions successives s’étend aujourd’hui sur près de 100 hectares sans participer au classement. Les observateurs ont noté qu’en juin dernier Cheval Blanc a racheté son voisin La Tour du Pin Figeac et ses 11 hectares qui vont agrandir d’autant son vignoble.
S’il est consensuel, le nouveau classement fait toutefois quelques déçus. Certains prétendants au rang de Premier Grand cru classé A n’ont pas été entendus. C’est le cas des châteaux Valandraud, Canon, Bélair-Monange ou encore Troplong Mondot, qui était persuadé d’y parvenir cette année. Ce n’est pas le cas. ●● ●
●● ● Du côté des Premiers B, Alexandre de MaletRoquefort, propriétaire de La Gaffelière, avait, sur un coup de sang, décidé en juin dernier de quitter le classement, pensant qu’en raison des notes de dégustation de son cru il ne serait pas maintenu à son rang. Résultat : avec son retrait et la promotion de Figeac, les Premiers Grands crus classés B ne sont plus que 12 dans cette nouvelle édition, soit les mêmes qu’en 2012.
ÉVITER LES DIVISIONS
Le fait qu’aucun Grand cru classé n’ait été promu au rang de Premier apparaît pour beaucoup comme une sage décision… ou une manière très politique, et peut-être salutaire pour l’image de Saint-Émilion, d’éviter de nouvelles divisions et la litanie des procès dont les classements est émaillée depuis 1996.
Car c’est bien là, dans le jeu très sensible de la promotion d’un Grand cru classé au rang de Premier Grand cru classé, que les tensions demeurent les plus vives. Plusieurs crus historiques redoutaient, il y a quelques mois encore, qu’un impétrant puisse les dépasser, voire d’être directement propulsé au rang de Premier cru classé, comme ce fut le cas pour La Mondotte et Valandraud en 2012. Des propriétaires influents ne cachaient pas leur intention de quitter le classement si une telle situation se reproduisait. Plusieurs châteaux se voyaient déjà accéder au rang de Premier B, comme Soutard, Fombrauge, La Dominique ou Destieux. Ils en sont pour leurs frais.
LA BARRE DU 16/20
Cette année, par souci de transparence, les propriétés ont reçu leurs notes. Ce qui a révélé quelques surprises. Pour intégrer le rang de Premier Grand cru classé, il fallait, entre autres, obtenir une note moyenne d’au moins 16/20 lors de la dégustation. Des crus comme Destieux ou Fombrauge ont passé l’épreuve haut la main mais ont trébuché sur d’autres critères, comme la notoriété ou l’oenotourisme.
DIX-SEPT PROMUS
Côté statistiques, le classement 2012 distinguait 64 Grands crus classés. L’édition 2022 en distingue 71, dont 17 nouveaux domaines. D’anciens Grands crus classés ont aujourd’hui disparu, leur foncier ayant été absorbé par d’autres propriétés comme Faurie de Souchard qui a rejoint Dassault, Les Grandes Murailles fusionné avec Clos Fourtet, ou encore Grand Pontet et l’Arrosée avalés par l’ogre Quintus.
D’autres crus classés n’ont tout bonnement pas voulu participer à ce nouveau classement, comme le château La Clotte (aux mains de la famille Vauthier, propriétaire d’Ausone) et Quinault l’Enclos (l’ancienne propriété du docteur Raynaud spectaculairement revendue à LVMH, également propriétaire de Cheval Blanc). Ces absorptions et défections ont permis d’éviter l’inflation du nombre de crus classés.
Les nouveaux promus au rang de Grand cru classé sont les châteaux Badette, Boutisse, Corbin Michotte, Croix de Labrie, La Confession, La Croizille, Le Chatelet, Mangot, Montlabert, Montlisse, Rol Valentin, Tour Baladoz, Tour Saint Christophe, Clos Badon Thunevin, Clos Dubreuil, Clos Saint-Julien et Lassègue. Élément rassurant, plusieurs promus appartiennent non pas à des investisseurs extérieurs au vignoble mais à des familles de vignerons du Libournais. Le classement reste donc ouvert.
CINQUANTE CRUS RECALÉS
Le classement 2022 compte donc un total de 85 châteaux classés (Grands crus classés et Premiers Grands crus classés) contre 82 en 2012. Pas moins de 140 châteaux avaient postulé, une cinquantaine d’entre eux est restée sur la touche. Il faut dire que les critères étaient précis et difficiles à contourner, comme la taille du foncier, qui ne devait avoir évolué qu’à la marge sur dix ans. Il fallait aussi être en mesure de présenter dix millésimes (de 2010 à 2019).
Certains propriétaires ne cachent pas leur déception. « Il y a peu de mouvement, c’est une manière d’acheter la paix sociale dans le vignoble. Du coup on ne voit pas trop l’intérêt de participer au prochain classement dans dix ans », soulignait l’un d’eux lors du déjeuner du ban des vendanges. Il se consolera en voyant la qualité des raisins récoltés en 2022, annoncé comme un grand millésime.