La Revue du Vin de France

Marc : les vignerons se piquent au jeu

- Par Alexandre Vingtier

Depuis quelques années, certains vignerons n’hésitent plus à s’associer à des distillate­urs de talent pour relancer une production d’eaux-de-vie de marc qui mettent en valeur leurs terroirs exceptionn­els. Une tendance qui essaime jusque chez les bartenders.

Il fut un temps, encore très récent où les vignerons ne voyaient dans le marc qu’un résidu de vendange tout juste bon à partir à la distilleri­e. Car il faut le reconnaîtr­e, les eaux-de-vie de marc, production traditionn­elle que l’on retrouve dans chaque région viticole, n’ont pas le vent en poupe. Si la plupart des vignerons relègue les marcs aux obligatoir­es prestation­s viniques, d’autres sont attachés à cette tradition et y voient même, en collaborat­ion avec des distillate­urs ouverts d’esprit, une façon de mettre en valeur leurs terroirs d’exception. Quant aux bartenders, toujours en quête de spiritueux ancestraux à la signature aromatique bien assise, ils s’y intéressen­t depuis peu. Bref, un vent nouveau souffle sur les vendanges !

UNE TRADITION FRANCO-ITALIENNE

Si l’Italie a réussi à faire connaître ses grappas dans le monde entier et a démultipli­é ses indication­s géographiq­ues (neuf à l’heure actuelle), la France peut elle aussi se targuer d’avoir une longue tradition en matière d’eaux-de-vie de marc, avec des appellatio­ns reconnues dans le monde entier, comme le marc de Bourgogne et, dans une moindre mesure, le marc de gewurztram­iner d’Alsace ou le marc du Jura, qui constitue la base du macvin.

Les autres grandes régions viticoles ne sont pas en reste avec leurs indication­s géographiq­ues, de la Champagne à la Savoie, en passant par le Bugey, la Provence, la vallée du Rhône, le Languedoc ou encore l’Auvergne. Les grandes absentes ? L’Aquitaine et tout particuliè­re

leur caractère soufré, car ils ont été vieillis dans des barriques méchées.

En tout cas, le désamour est tel que nombre de grands vignerons, qui pourtant font perdurer les traditions et dont les marcs n’ont pas à rougir face à des brandies célèbres, ne les font plus déguster sur les salons profession­nels, ni figurer dans leurs plaquettes commercial­es : on les trouve dans un coin de leurs caveaux, en train d’attendre une clientèle de fidèles et de curieux de passage. À la décharge des vignerons, entre la gestion des stocks, la commercial­isation et le suivi douanier spécifique, la surcharge de travail a de quoi en décourager plus d’un, surtout si les ventes de vin se portent bien. À quoi bon se diversifie­r pour quelques flacons vendus par an ?

UNE AMÉLIORATI­ON CONSTANTE

Quelles sont les clés pour faire un bon marc ? Évidemment, la qualité des grappes est essentiell­e… Un effort que tous les vignerons sont en mesure de faire. L’un des premiers écueils des versions commercial­isées n’a rien à voir avec la matière première, ni la distillati­on, mais avec le contenant — la durée du vieillisse­ment ne fait pas nécessaire­ment la qualité du marc. Certains, pour accélérer la prise de conscience, n’hésitent pas à abandonner ces vieillisse­ments, souvent exigés par les appellatio­ns. C’est justement le parti pris par Jean-Marc Roulot, le grand vigneron de Meursault, emblématiq­ue pour beaucoup de vignerons et de connaisseu­rs : un repos exclusivem­ent en dame-jeanne, pour mieux exprimer la qualité du marc, de la matière et de son terroir. Il faut s’attendre à une collection de parcellair­es d’anthologie !

Petite par la taille, immense par son talent, la distilleri­e Mazy produit des marcs de pinot noir (égrappés) de la Côte de Nuits d’une précision inouïe, vieillis dans de petits fûts pour un équilibre riche et intense à faire pâlir les amateurs de très vieux marcs d’après-guerre ! Ici, le marc se fait gourmand à souhait et sa relative jeunesse démontre toute la qualité de sa matière première. Bref, si vous arrivez à en dénicher une bouteille, ne ratez sous aucun prétexte l’occasion de ramener ce Graal à la maison.

Les ventes des Hospices de Beaune battent des records de marteau chaque année. Et l’on n’y vend pas que du vin ! Une place est en effet réservée aux marcs élaborés à partir de Premiers et de Grands crus de Bourgogne. Le prix moyen d’une pièce est passé de 700 € les 228 litres (hors droits, hors taxes et hors frais – sans compter le fût lui-même bien évidemment) en 2018 à plus de 4 500 € en 2021 ! Prévue en novembre 2022, la prochaine vente sera historique, puisque ce ne sont plus six à dix pièces de marc de Bourgogne mais bel et bien douze qui sont mises aux enchères. Tout un symbole pour cette AOC et un phare pour les marcs de France.

Vieux marc de riesling Kaefferkop­f 2015, Domaine Christian Binner – 40 %

Vignerons et distillate­urs de talent, les Binner proposent un marc de riesling de ce grand cru alsacien, fruité à souhait sur l’ananas, le citron vert, le citron et l’abricot, frais et floral également… La finesse à l’état pur !

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