Au-delà de l’incontournable ugni blanc, des eaux-de-vie de vin françaises remettent au goût du jour des cépages historiques ou marginaux comme la folle blanche, le colombard, le montils, le plant de graisse, le baco, le mauzac, le folignan, le sémillon… A
ÀPar Alexandre Vingtier la faveur de la crise historique du phylloxéra, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, l’ugni blanc, cépage originaire de Toscane et connu en Italie sous le doux nom de trebbiano, s’est imposé comme la variété-reine dans les vignobles destinés à la distillation. D’abord planté dans les Charentes et dorénavant bien installé dans le Gers, il représente respectivement 98 et 55 % de l’encépagement de chacun de ces vignobles ! Ailleurs, la tradition des fines s’est essoufflée, quand elle n’a pas failli disparaître. Heureusement, des viticulteurs et distillateurs engagés préservent ces traditions anciennes.
D’un point de vue technique et réglementaire, on peut produire plusieurs types d’eaux-de-vie à partir d’un raisin : de l’eaude-vie de vin, quand on distille le vin ou jus fermenté d’un ou plusieurs cépages ; de l’eaude-vie de lies, avec les restes des vinifications ou les soutirages ; et enfin de l’eau-de-vie de raisin, obtenue en faisant fermenter le fruit entier avec sa chair et sa peau. De surcroît, il existe des eaux-de-vie de raisin sec. Enfin, rappelons que les brandies ne sont pas nécessairement des eaux-de-vie de vin pures (distillées jusqu’à 86 %) puisque l’on peut les assembler, à hauteur de 50 %, avec du distillat de vin
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(distillé jusqu’à 94,8 % et aux arômes très neutralisés).
LE RETOUR EN GRÂCE DU MONTILS Première catégorie de cépage à distinguer, les cépages de distillation donnent des vins particulièrement aptes à cette pratique. Il s’agit le plus souvent de cépages productifs, peu aromatiques et dotés d’une belle acidité. En première place, on trouve bien évidemment la folle blanche, le cépage roi de la période préphylloxérique : ce dernier a dominé les vignobles de Cognac et d’Armagnac au
XIXe siècle, âge d’or de ces futures appellations d’origine contrôlée, et leur a permis de partir à la conquête du monde.
En complément de l’ugni blanc, on trouve très souvent le colombard, productif mais souvent considéré comme trop peu aromatique. Certains viticulteurs-distillateurs le défendent ardemment : moins régulier que les cépages précédemment cités, il peut présenter des millésimes remarquables mais encore faut-il le vinifier, le distiller et l’élever avec finesse (la barrique ne doit pas dominer le goût) pour en révéler le caractère fruité et floral parfois remarquable.
Enfin, n’oublions pas le montils, dont le nom est probablement originaire d’une commune charentaise. En complément des précédents, cette variété se développe à nouveau, notamment en Petite et Grande Champagne. Certains l’apprécient tout particulièrement pour le goût très rond et doux qu’il amène, en assemblage, dans le pineau ; d’autres l’isolent et laissent vieillir l’eau-de-vie obtenue, lorsque les parcelles sont suffisamment grandes et le millésime généreux. Les cuvées actuellement commercialisées sont rarissimes ; on en verra très certainement un peu plus dans les années ou décennies à venir.
Si vous êtes amateurs d’armagnac, vous connaissez très certainement le baco, cet hybride issu de la folle blanche et d’un plant américain, très puissant et très texturant, bien implanté dans le Bas-Armagnac. Mais avezvous déjà essayé le graisse ? Certains producteurs en ont planté quelques hectares avec des résultats très convaincants. Ce cépage, connu sous le nom de grecho en patois gascon, est pressenti comme alternative ou successeur du baco, si jamais les autorités devaient interdire définitivement le fameux cépage hybride, le seul employé dans une AOC en Europe !
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ÀBordeaux, le Groupe Lucien Bernard s’est imposé comme un des fleurons mondiaux du brandy depuis près d’un siècle. Si elle possède une distillerie en Espagne où le cépage airén est roi, la famille Bernard n’a de cesse de tester des variétés du monde entier. « Nous avons testé une quinzaine de cépages et réalisé des distillations d’environ 25 hectares pour chacun d’entre eux ! », s’enthousiasme Eymeric Bernard. Ce qui représente environ 250 hectolitres d’eau-de-vie de vin, mises en vieillissement parfois plusieurs années et dans différents types de barriques. Résultat de ces expériences ? Le sauvignon a mal supporté la distillation. Le gros manseng perd beaucoup de sa fraîcheur durant l’élevage. Le chenin se montre très floral au nez mais un peu austère en bouche. Mais la muscadelle d’Afrique du Sud (Red Muskadel) s’est distinguée, donnant une eau-de-vie fruitée, florale et exotique à la fois, acidulée en bouche malgré un élevage de près de quatre ans déjà. Un cépage validé et une production désormais plus régulière. Wait and see ! A. V.