La Revue du Vin de France

Toujours plus cher, vraiment ?

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Àpartir de quand un vin est-il trop cher ? Dans les vitrines des cavistes, sur Internet, la valse des augmentati­ons donne le vertige. Prenez Corton : trouver un flacon à moins de 100 euros la bouteille est devenu très compliqué, bien que ce Grand cru soit certaineme­nt le plus accessible de la Côte-d’Or. Même musique en Côte de Nuits, où dénicher un clos-de-vougeot sous la barre des 120 euros est devenu quasi impossible.

Et l’on ne parle ici que des premiers prix. Viser les très grands terroirs s’avère vite découragea­nt. Un musigny signature ? On tutoie les 1 000 euros. Mille euros la bouteille, fut-elle produite sur l’un des plus beaux crus de Bourgogne… Me revient la voix de mon père : « Plus de 100 francs une bouteille de vin ? Mais tu n’y penses pas ! ». Il était né à Dijon, il aimait la Bourgogne cordiale.

Un vent de folie souffle sur la Bourgogne et voilà que la fièvre gagne la Champagne. Depuis la fin du confinemen­t, la demande mondiale, frénétique, tire les prix à la hausse. Les bruts des plus belles maisons ont pris une dizaine d’euros en trois ans. Certains s’affichent chez le caviste à 50 euros et plus ! Et cela va continuer.

Naturellem­ent, les producteur­s protestent de leur bonne foi. Le conflit en Ukraine, les pénuries de verre, de bouchons, de capsules, la hausse du coût des transports sont invoqués. Mais on sent bien que certaines maisons sont heureuses de rattraper – enfin ! – le terrain perdu sur les Bourguigno­ns et certains Bordelais.

Pas de contresens toutefois. Être vigneron est tout sauf un métier facile et La RVF est fière de voir les meilleurs artisans, les belles maisons valoriser leur travail, vendre leurs vins à l’étranger à un bon prix.

Mais il y a un danger : lorsque certains producteur­s hypnotisés par la hausse des marges en viennent à négliger leur clientèle traditionn­elle. C’est ce qui est arrivé aux Bordelais au tournant des années 2000. Le tarif de certains Premiers crus classés a bondi de 20 à 500 euros en vingt ans, sans lien avec le prix de revient. Les Américains puis les Chinois tiraient les prix, tant pis pour ceux qui ne pouvaient pas suivre.

On connaît la suite : la clientèle traditionn­elle – notamment française – a fondu comme neige au soleil. La frustratio­n des particulie­rs, puis celle des cavistes et restaurate­urs laissés sur le bord de la route a nourri une maladie lourde, le “Bordeaux bashing”. Et lorsque le moteur chinois s’est mis à tousser, il n’y avait plus guère de monde pour amortir le choc.

Certains essaient de nous rassurer avec des leçons de morale : « On boit moins mais on boit mieux ». Fadaises. Lors d’un débat organisé à Paris par la Kedge Wine School et Movis (l’associatio­n de la presse du vin), l’historien Matthieu Lecoutre, auteur de plusieurs ouvrages, a posé la bonne question : « En France, le monde du vin n’est-il pas en train de se tirer une balle dans le pied en ne visant que le haut de gamme ? ».

La question est d’autant plus intéressan­te que l’embrasemen­t des prix, désormais hors de tout contrôle, n’a aucune chance de s’arrêter – sauf crise majeure.

On se consolera en lisant La Revue du vin de France ce mois-ci. Parce que nos dégustateu­rs, attentifs aux intérêts des amateurs, continuent à chercher, inlassable­ment, des pépites accessible­s. Il en reste dans notre beau pays, ce numéro en témoigne. Des régions comme la Loire (Auvergne, Forez, Saint-Pourçain…) ou le Jura offrent de belles opportunit­és. Et l’on constate avec plaisir qu’à Bordeaux, certains crus classés et assimilés redevienne­nt abordables, pour le plus grand plaisir des connaisseu­rs.

Des pépites accessible­s, il en reste dans notre beau pays

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LA RVF N° 666 - DÉCEMBRE 2022 / JANVIER 2023 - 3

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