Les actus du vin
Mais qui se cache derrière le rachat annoncé des domaines Prieuré Saint Jean de Bébian et Ganevat par un salarié devenu soudain président ? L’ex-propriétaire russe Alexander Pumpyansky ne donne plus signe de vie.
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Nous avions laissé l’affaire sur ce coup de tonnerre : le 4 mars dernier, l’homme d’affaires russe Alexander Pumpyansky, propriétaire du Prieuré Saint Jean de Bébian en Languedoc et du domaine Ganevat dans le Jura, appelle ses deux hommes de confiance, Benoît Pontenier, 39 ans, régisseur de Bébian, et Jean-François Ganevat, fameux vigneron maintenu aux commandes du domaine qu’il venait de vendre (lire La RVF n° 655 et 660).
Pumpyansky leur annonce avoir cédé ses deux domaines viticoles « à un homme d’affaires ». En réalité, le propriétaire russe s’active pour protéger ses biens d’éventuelles sanctions européennes. Bien vu : cinq jours plus tard, Alexander et son père Dmitryev A. Pumpyansky, oligarque proche de Vladimir Poutine et à la tête de l’empire sidérurgique Pipe Metallurgical Company (ou TMK), se retrouvaient sur la liste noire de l’Union européenne, soit 862 personnalités et 57 entités juridiques soumises au gel de leurs avoirs en Europe et à l’interdiction de revendre leurs biens. Avec, en plus, une épée de Damoclès au-dessus de leur tête : la perspective éventuelle d’une saisie de leurs avoirs pour aider l’Ukraine dans la guerre contre la Russie !
L’ACHETEUR ÉTAIT DANS LA CAVE
Stupeur à Rotalier où Jean-François Ganevat perd son repreneur et nouvel employeur, sans trop savoir ce qu’il va devenir. Accablement à Pézenas où la famille Pumpyansky avait acquis, en 2008, le Prieuré Saint Jean de Bébian avec un projet solide. Authentique passionné de vins, Alexander Pumpyansky avait injecté quatre millions d’euros dans la construction d’une cave gravitaire, l’ouverture de chambres d’hôte, un restaurant étoilé…
Très vite, des noms de repreneurs circulent. Mais là, nouveau rebondissement : les acquéreurs se cachaient dans la cave ! Le 26 octobre, Benoît Pontenier annonce à La RVF qu’il compte racheter Bébian, « prêt à s’endetter pour la vie » et que
« la vente sera signée en décembre ».
À moins de 40 ans, le salarié va encore plus loin : il assure vouloir racheter les deux domaines pour près de 15 millions d’euros. Pontenier assure ne pas agir seul. L’oenologue Jocelyn Broncard, nommé maître de chai du domaine Ganevat au lendemain de la vente à Pumpyansky, est associé au projet.
« Jocelyn entre au capital avec moi, il s’agit d’une acquisition 100 % française », annonce fièrement Benoît Pontenier. Une affirmation qui stupéfie plusieurs vignerons et des cadres de l’interprofession interrogés par La RVF : « Pontenier ne peut être qu’un prête-nom dans ce montage, il n’a pas d’argent », assène l’un des deux. ●● ●
●● ● En réalité, ce n’est pas ou plus vrai du tout. Selon le registre du commerce et des sociétés consulté par La RVF, 24,9 millions d’euros ont été injectés en août dans les caisses de la SAS Prieuré Saint Jean de Bébian, exploitante du domaine languedocien, et de la SAS Vinara, exploitante du domaine Ganevat. Deux sociétés dont Benoît Pontenier, ancien gérant, est devenu le président ces derniers mois.
D’OÙ VIENT L’ARGENT ?
Mais d’où vient l’argent ? Là, tout se complique… Officiellement, les fonds viennent de Furdberg Holding Limited, une société holding chypriote détenue par M. Pumpyansky père… jusqu’au 4 mars dernier, date à laquelle l’oligarque aurait cédé ses parts à un mystérieux sportif espagnol au nom à forte consonance slave…
Selon Pontenier, Furdberg Holding Limited aurait depuis abandonné les comptes courants associés des deux SAS, condition imposée par les banques pour autoriser le rachat des deux domaines par Benoît Pontenier lui-même.
Toujours selon l’ex-employé devenu président, les Pumpyansky père et fils n’ont désormais plus rien à voir avec les deux propriétés viticoles. La RVF a tenté de les joindre, sans succès. Alexander serait à Dubaï selon Pontenier, en Turquie selon M, le magazine du Monde…
Lorsqu’on redemande à Benoît Pontenier d’où viennent ces millions, il refuse de donner plus de précisions. Ce qui intrigue certains spécialistes en flux financiers interrogés par La RVF. « S’il y a la volonté – en tout cas apparente – de couper tout lien avec l’ancien propriétaire Pumpyansky, il convient de se pencher sur l’origine des fonds afin de s’assurer que la propriété ne demeure pas, in fine, entre les mains des Pumpyansky », analyse Sara Brimbeuf, avocate au sein de l’ONG anticorruption Transparency International France.
Pour l’avocate, cette cession mérite d’être examinée avec attention : « Tous les signaux d’alerte sont là : un oligarque sous sanction, une holding basée à Chypre – paradis fiscal notoire – et des transactions impliquant un homme d’affaires non identifié et des sociétés écrans qui permettent d’organiser l’opacité autour de la propriété effective des biens ».