UN PRIX DE STATISTIQUE
tion, tant pour l’intérieur de la France que pour les pays étrangers », précise-t-il. Il détaille les cépages : en rouge, « le noirien et le pineau, qui peuplent seuls la presque totalité des vignes où l’on recueille les vins fins ; le giboulot, le melon noir et le gammé, qui produisent les vins ordinaires et communs. Les raisins blancs sont le chaudenay, qui fait les meilleurs vins, le melon-blanc, le narbonne ou le chasselas, et le gammé ». Et dresse sa liste des vins rouges de première classe de la Côte-d’Or, par ordre de qualité : La Romanée-Conti, Chambertin, Richebourg (« ne diffère de celui de La RomanéeConti, qu’en ce qu’il est un peu plus coloré, moins fin et moins délicat : il se distingue surtout par beaucoup de sève et de bouquet », écrit-il), Le Clos-Vougeot, La Romanée-de-Saint-Vivant, La Tâche et Clos Saint-Georges. Légèrement inférieur, il cite entre autres : le Clos de Prémeau, Musigny, le Clos de Tart, Les BonnesMares, le Clos de la Roche, le Clos Saint-Jean à Chassagne et la Perrière à Fixin.
En deuxième classe, il range les vins provenant des villages suivants : Corton, Vosne, Nuits-SaintGeorges, Prémeau, Volnay, Pommard, Beaune, Chambolle, Morey, Savigny-sous-Beaune et Meursault. Enfin, les vins rouges de Chassagne sont rangés en troisième classe. « Chassagne (…) fournit des vins agréables et fins, qui sont plus spiritueux et plus solides que ceux de la côte de Beaune ; mais leur goût étant moins franc, ils ne sont pas aussi recherchés », cela en fera sourire certains ! Heureusement, les vins blancs de Puligny intègrent la première classe, avec les Montrachet. On apprend d’ailleurs que Meursault (Perrière, Combotte, Genevrière, Goutte d’Or et les Charmes), catégorisé en deuxième classe, « fournit beaucoup de vins blancs fort estimés, et qui, en sortant du pays, prennent souvent le nom de vins de Mont-Rachet, auxquels ils ressemblent un peu, mais dont ils n’ont pas toutes les qualités… ».
André Jullien montre que la viticulture existe aussi dans les contrées les plus reculées. À elle seule, la liste des territoires décrits invite au voyage : l’Hindu Kush, la Cochinchine, l’empire des Afghans, le Tonquin, la Chine, la Tartarie indépendante, le Japon, la Nubie, l’Abyssinie, le Sénégal, le Cap de BonneEspérance, les États-Unis, le Canada, la Nouvelle-Espagne, la Vice-Royauté de Lima, le Royaume de Chili, la Vice-Royauté de la Plata ou de Buenos Aires. André Jullien raconte qu’à défaut de vignes, du vin de palme est produit au Sénégal. Tout en soulignant que
Cette Topographie de tous les vignobles connus est une somme vertigineuse qui s’étend sur près de 600 pages au total. Elle sera plusieurs fois rééditée et remaniée. La deuxième édition paraît en 1822, puis une version anglaise sort en 1824 et la dernière en 1832, l’année même où André Jullien meurt du choléra à Paris, le 21 juillet. Enfin, deux éditions succèdent à la dernière écrite par André Jullien. Elles paraissent en 1848 et 1866. Dans celle de 1832, largement augmentée, avec des statistiques des douanes et des surfaces plus précises, se trouve un rapport signé du physicien et député des Pyrénées-Orientales François Arago, secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, dans lequel il propose de décerner le prix de statistique à André Jullien. Prix qui lui sera décerné le 15 octobre 1832, à titre posthume.•
Le livre d’André Jullien est disponible en version numérique sur le site de la Bibliothèque nationale (gallica.bnf.fr). Il apparaît parfois en ventes aux enchères, à des prix très élevés compte tenu de sa rareté. Il est possible de trouver des fac-similés imprimés ces vingt dernières années, autour
de 40 € sur certains sites de vente en ligne, comme Amazon.