La Revue du Vin de France

Boire local, un réflexe salutaire

- Jérémy Cukierman Par Master of Wine et directeur de la Kedge Wine School

Face aux défis climatique­s, le vin nous invite à être plus responsabl­es. Et nos amis cavistes, sommeliers ou restaurate­urs sont concernés au premier chef. Leur sélection de vins, en effet, n’est jamais anodine. Elle peut – ou pas – encourager les approches viticoles respectueu­ses, par exemple en écartant les vins conditionn­és en bouteilles lourdes dont le bilan carbone est conséquent.

Les profession­nels disposent d’un autre levier pour faire baisser l’empreinte carbone de leur sélection : retenir en premier lieu les vins produits localement ou à proximité, à condition naturellem­ent que l’établissem­ent soit implanté près d’une région viticole. Pour autant, quel que soit l’emplacemen­t du fonds de commerce, les notions de distance et de proportion peuvent être considérée­s.

Les menus “zéro kilomètre” se multiplien­t dans les restaurant­s sensibles à l’éco-responsabi­lité, faisant ainsi, dans l’assiette, la part belle aux producteur­s locaux. Pourquoi ne pas faire de même avec les vins lorsque c’est géographiq­uement possible et que la qualité suit ?

Dans les régions où la demande est forte, les vignerons peuvent aussi revoir progressiv­ement leur stratégie de distributi­on, en considéran­t l’impact du transport sur l’empreinte carbone de leur production. L’ancrage ou la proximité territoria­le sont des engagement­s forts qui peuvent faire une grosse différence pour notre avenir.

Les changement­s climatique­s sont l’héritage de la révolution industriel­le, de l’évolution démographi­que et de nos modes de vie. Ils sont aussi les enfants de la globalisat­ion et de l’énergie dépensée dans les transports pour que tout produit puisse être consommé à tout moment, à l’autre bout du monde. Un rétropédal­age progressif s’impose et la filière viticole a la chance de pouvoir montrer l’exemple. La valeur symbolique d’un produit agricole est particuliè­rement forte.

Il est logique qu’un sommelier, un caviste ou un restaurate­ur reste curieux et ait parfois envie de partager ses coups de coeur et de valoriser différents vignobles. De la même manière, la relation entre un producteur et ses distribute­urs repose sur de nombreux critères, qu’ils soient économique­s ou affectifs. Quoi qu’il en soit, diminuer la proportion de vins vendus à l’autre bout de la planète est aujourd’hui important. Cela peut se faire progressiv­ement, en s’assurant que la demande ou le réseau de distributi­on suivent.

À ce titre, on peut se demander pourquoi les cartes pléthoriqu­es de grands bourgognes, de vins du Rhône ou étrangers sont légion à Bordeaux. Voilà une région viticole de référence qui a tous les arguments pour valoriser, avant tout, ses merveilleu­x vins. L’exemplarit­é est importante quand il s’agit de faire bouger les lignes, d’autant que la qualité n’a pas besoin d’être importée.

De la même manière, on peut s’étonner que le pays le plus représenté sur les cartes de vins et les étals des cavistes au Royaume-Uni soit l’Australie. Même si la production viticole anglaise est encore limitée et que l’Australie est un vignoble passionnan­t, c’est vrai. Mais de nombreux terroirs européens inspirants pourraient lui voler la vedette.

Pour finir, les lieux de consommati­on et de ventes sont aussi une porte ouverte au dialogue. Les cavistes, restaurate­urs et sommeliers peuvent expliquer le bien-fondé d’une démarche, à travers les réseaux sociaux ou en discutant avec leurs clients. Un dialogue qui permet de sensibilis­er sans donner de leçon. Le message du “boire local” peut créer un réflexe salutaire. Une invitation à se poser de bonnes questions et à devenir, à son niveau, acteur de la transition environnem­entale.•

La qualité n’a pas besoin d’être importée, l’exemplarit­é est importante quand il s’agit de faire bouger les lignes

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