La Revue du Vin de France

Roussanne Vieilles vignes 1986 du château de Beaucastel

La révélation!

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Si la tradition castel-papale veut que les vins soient issus des treize cépages de l’appellatio­n, cette cuvée en prend le contre-pied avec un cépage unique, une roussanne issue des vieilles vignes du château de Beaucastel. Cette propriété historique possède pourtant toutes ces variétés, en particulie­r sa célèbre counoise. Elle élabore d’ailleurs des cuvées classiques qui leur font honneur.

“ENTRE DEUX SOLEILS”

Si le cru est mentionné dès 1549, c’est la famille Perrin qui est à ses commandes depuis le début du XXe siècle avec Pierre, puis Jacques, ses fils Jean-Pierre et François et leurs sept enfants, une vraie saga familiale. Nous sommes sur la commune de Courthézon, les sols sont ici un modèle, une assise de molasses marines du Miocène recouverte par un diluvium alpin formé de gros cailloux roulés par le Rhône et la Durance, mêlés d’argile rouge et de sables. Ces gros galets de surface jouent un rôle déterminan­t dans un microclima­t qui place les raisins “entre deux soleils”, ce qui donne des maturités élevées qu’il faut savoir dompter. Ces sols sont très filtrants, mais l’argile présente en sous-sol apporte son pouvoir de réserve et évite à la vigne de trop souffrir de la sécheresse. Une faible pente permet d’évacuer les eaux orageuses. Ajoutez le mistral qui dessèche et assainit, une faible pluviométr­ie et des températur­es méridional­es et vous obtenez des conditions de grande maturité et une viticultur­e bio facilitée.

Parmi les cépages blancs, grenache blanc, clairette, bourboulen­c, picardan et cette parcelle de très vieilles vignes de roussanne pour cette cuvée de très haute volée. Récoltés manuelleme­nt le matin, les raisins en très légère surmaturit­é sont triés, puis pressurés et débourbés, fermentés à la bourguigno­nne pour partie en cuves et en barriques ; la proportion de bois neuf a diminué aujourd’hui. Ils sont bâtonnés et élevés sur lies pendant huit mois, assemblés et mis en bouteilles.

Le premier millésime, 1986, est une révélation. Nous assistions alors à la naissance d’un grand vin blanc sudiste, mais un vin qui ne consentait à dévoiler toute sa subtilité qu’après quelques années de garde.

À sa maturité, le vin présente une incroyable densité, une sève concentrée, une réunion des arômes de fruit jaune, de miel, d’anis, d’épices douces qui s’échappent de ces vins de roussanne, une capacité de garde plutôt étonnante si l’on se réfère à la seule acidité comme facteur de longévité. La légère note évolutive initiale et leur couleur dorée intense pourraient d’ailleurs laisser penser que ces vins ne vont pas vieillir, qu’ils sont déjà alanguis, mais la preuve est bien là, ils passent les ans sans prendre une ride, ils gardent tout leur potentiel grâce à leur force et leur concentrat­ion première. Tout comme pour un grand hermitage, la garde est assurée par la densité de matière. Autre paradoxe, la robe s’éclaircit avec l’âge et la complexité aromatique s’évase et s’épanouit sans que l’équilibre ne s’effondre.

PARTI POUR L’ÉTERNITÉ

Dégustée en 1988 (La RVF n° 325, octobre 1988), mon commentair­e disait : « Une robe dorée, un boisé délicat qui renforce les arômes de fruits exotiques, de menthe, de vanille. Un vin très présent en bouche, gras et long, avec des épices qui demandent à se fondre. Attendre ». Dégustée en 1999 (La RVF n° 438, février 2000), j’écrivais : « Une robe dorée médium, la cire, le nougat, la menthe, les épices rares, les fruits blettis, la noix sèche, le nez est voluptueux. La bouche est très fruitée, plutôt abricot, avec une belle ampleur mais une vivacité très excitante, une superbe bouteille un peu décadente, mais avec une expression aromatique exceptionn­elle. Finit sur l’abricot, la vanille, les fruits secs, les épices orientales ». Dégusté à titre personnel en 2018, ce 1986 avait encore développé une complexité majeure, avec toujours cette puissance intacte et cet équilibre entre force et vivacité qui semble parti pour l’éternité.

Avec à peine 6 000 bouteilles produites, le 2020 est en rupture au château, il était proposé à 155 €. Sa cote chez iDealwine ne s’écarte pas beaucoup de ce tarif, même pour des millésimes anciens. Un cadeau pour un des plus grands vins blancs de gastronomi­e.

DÉCEMBRE 2022 / JANVIER 2023 -

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